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Petite chronique des grandes hontes -29- Je t'aime, moine...

Petite chronique des grandes hontes -29- Je t'aime, moine...

C’est une histoire de capucins. Pas les lièvres : les moines.

Introduction allitérative s’il en fut : ceci se passait en Sicile.

Trois acolytes : mon blanc chevalier, notre meilleur ami et votre servante. D’Agrigente à Sélinonte, éblouissement. Mer bleu cobalt, pierres ocres, terrasses ombragées et pizzas pas mauvaises, ça compte aussi ; ventre rassasié de choses exquises et petit vin à l’avenant, le sublime s’apprécie mieux.

Enfin, après une belle semaine, aah, Palerme…

Là-bas est un endroit assez peu riant bien que superbe d’architecture : le couvent des Capucins. Je renvoie ici les cinéphile aux premiers plans de « Cadaveri eccellenti » (Cadavres exquis) film de Rosi avec entre autres Lino Ventura et Charles Vanel, déjà fort âgé, dont le cinéaste filmait le visage en gros plan tandis qu’il contemplait les momies du couvent, auxquelles, bien que tout vivant qu’il fût, le personnage ressemblait déjà.

Depuis le film, mon blanc chevalier rêvait de visiter ce couvent, ou plutôt, ses catacombes.

Des momies ? Dans un couvent ?

Résumons-nous : Endroit élu du XVII ème au XXème siècle naissant par les familles aisées palermitaines pour la sécheresse exceptionnelle du lieu. La conscience de classe poussée à l’extrême : enterrer, c’est vulgaire. Ils entreposaient donc leurs De cujus dans cette crypte accueillante où papy,  mamy et tata Janine se conservaient dans la joie, à l’air libre, et, pour beaucoup… suspendus.

Soigneusement triés par thématique, ce petit monde pendouille dans un état de fraîcheur très relatif,  revêtu d’atours délavés ;  après plus de trois siècles, le satin comme la soie, ça souffre.

Je vous la fais télégraphique : j’avais vu le film, aucune envie de visiter ça, faisais la gueule. Décidé que je traverserais en regardant par terre.

J’aime pas le morbide en vrai. C’est tout juste si j’arrive à me regarder dans les yeux face à une radio de mon propre crâne. Je préfère quand il y a la peau et une bouche qui sourit et des yeux qui bougent.

Las, les yeux baissés ne m’épargnaient rien. Je marchais sur des pierres tombales.  Une félicité n’arrive jamais seule : quand le mort n’est pas pendu dans cette délicieuse villégiature, il est posé par strates dans des cercueils entassés de chaque côté. Transparents, of course.

Bref, on n’y échappe pas.

Mes deux acolytes prennent avec stoïcisme des photos de rogatons  mitrés, moisis dans les ors. La lumière du lieu, fort chiche,  les oblige à poser l’appareil sur un pied pour pouvoir capter à vitesse trrrrès lente, ceci précisé pour les ignorants des joies de l’argentique.*

Cœur au bord des lèvres j’accélère en suivant les flèches vers la sortie, je veux voir des gens qui marchent, sentir le soleil, entendre la langue colorée, le bruit des moteurs,  prête à subir- c'est dire -  des flatulences de voisin indélicat : après tout, c’est la vie aussi.

Tout, mais pas ça.

Oui mais.

Pour accéder à la porte salvatrice, il me faut traverser un dernier endroit. Une pièce plus petite, dévolue ... aux enfants. Sans commentaire. Peu nombreux, les petits défunts, et au moins, couchés. Les visiteurs ne s’attardent pas, sauf sur une.

Elle a sept ou huit ans, irréelle, semble dormir sous sa vitre. J'ai beau passer vite, j'ai le temps de la voir.

C’en est trop. Je cours, gagne la sortie, percutant à pleine tête au moment de passer la porte un capucin bien nourri, sorte de Frère Tuck en plus gros. Même pas mal, le bedon a fait airbag.  

Je me dégage, atteins enfin la rue et soudain la mère que je demeure fond en larme et tombe assise sur le trottoir. Une bouse. Soudain une robuste poigne me soulève par les épaules. Me retournant je vois la face pleine d’empathie du moine surpondéral qui me tient des yeux.  Sa main-battoir pousse ma tête sur son épaule, avec une tendresse telle que je ne sanglote plus, je hoquète. Entre deux reniflements des mots me parviennent La ragazza… È morta molto tempo fa… Lei…non la conosceva… Làààà, làààà … et c’est dit avec une voix d’une douceur extrême, et plus il est apitoyé, plus je pleure, à gros soupirs de gosse.

Mon blanc chevalier et mon ami, sortis quelques minutes plus tard, eurent droit à cette vision surréaliste : le moine avec dans ses gros bras une serpillière échouée à la limite de se moucher dans la bure, pendant que le saint homme murmurait des paroles de consolations sans laisser apparaître le moins du monde qu’il me prenait pour une folle.

Le capucin est fondamentalement gentil.

Ensuite, on a quitté Palerme par bateau, pour aller jusqu’à Naples. Cabine-couchette, voyage de nuit. Mes bodyguards ont accroché leur veste à une patère, ma couchette est juste en face. Avec l’éclairage du hublot, ça fait comme… Eveillée par le bruit du moteur, je vois ça et je hurle.

JE HURLE.

Il y avait deux dames siciliennes, dans la même cabine. L’une d’elle m’a demandé quelque chose, le lendemain matin, que je n’ai pas compris. J’ai décidé depuis qu’elle me demandait l’heure. Mais si ça se trouve c’était un truc du genre « vous êtes sûre que vous allez bien ?  ».

N’empêche qu’une fois dans ma vie j’aurais connu l’abandon dans les bras d’un moine. Et rien que ça…

 

* C’était dans les années 80. Il semblerait que désormais les photos soient interdites.

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L
Je pense qu'après l'épreuve d'un tel périple, tu n'es plus à une horreur près : si ça se trouve ce "brave" moine attend ses proies à la sortie, sûr qu'il est de pouvoir, tout en sauvant en même temps les apparences liées à son habit, consoler ardemment toutes les jolies femmes éplorées ....
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J
Franchement, Cachou chère, je sais que je n'ai que ma parole, mais il n'avait vraiment pas le profil. Et tu serais surprise : nul ne s'éplorait. D'où ma honte : J'étais la seule. Il y a vraiment des grands malades partout. <br />
M
Quelle chance, il a l'air tout doux ton moine ! un peu enveloppé, certes, mais d'autant plus confortable :-)
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