L'orage ou l'océan
Parfois
la peur de la vie
son vertige de falaises
la litanie des corps
sous une pluie de draps
leur tissu blanc de vagues
l’écume et sa pâleur d’oiseau
le chant rouillé des années sur nos gestes
les cils
paupières échouées dans le sommeil
parfois la lune buvant la nuit
parfois les grondements
l’océan ou l’orage
la défaillance
parfois le printemps froid
du vent d’avril
mais les petits dorment
s’éveillent à la rosée
bouches d’ogres
corps tendus de possibles
regards éperdus
appels à pleines dents
vers la dévoration.
Plus la peur, alors.
Juste la vie.
Soror
Quinze ans, la grâce. Elle est perdue dans sa lecture, dans ses rêves, peut-être. Une enfance toujours là, mais prête à se pointiller, bondir dans les possibles, passer d'une rive à l'autre, un sens, puis l'autre, partir, revenir.
Ce temps à la fois prévisible, pour autant incertain, balance entre marelle et rêve d'échappée, pose son âme fugueuse pour un instant choisi, happé par le crayon vivace, aimant, d'un père qui croque comme il respire. Un père... Le nôtre. Il ne sait pas encore que je vais débouler, deux ans plus tard. Dans cette enchantée pose, il fixe en noir et blanc sa fille unique, qui le restera, au delà mon arrivée, parce qu'elle est elle, belle, aile protectrice sur ma petitesse, bien plus tard. Ce dessin me touche infiniment, pour ce qu'il dit d'elle que je n'ai pas connu, pour la grâce qui ne l'a jamais quittée, même dans sa vieillesse, où cette adolescente est restée dans le regard, le rire, l'amour de la vie.
Soror, le joli mot latin pour dire "soeur".
Il y a "or" dedans.
Tout est dit.
L'endormeur
Ses yeux : gros de métal et de nocivité. Ondulant, il trace autour de ce qu’il veut ternir des cercles resserrés. Il ne siffle pas, mais pose sur toutes choses un silence obtus, guetteur de la pire espèce ; celle qui a le temps.
Il se plaît à effacer les couleurs, les absorber, serpent-buvard qui aime la boue, la merde, les gadoues pour les vomir dans les bouches des autres, faire crever le sourire, enténébrer les rêves. Il rend les mots épais, brouillés, inutiles. Ensommeille la parole, dégueule sur la vie, fait bégayer les corps.
Le moisi du malheur, l’ombre, les ruines… Son temple, sa maison.
Il est costaud, l’endormeur.
Mais pas tant.
S’il veut l’obscur, la nuit profonde, on peut la mer, on peut l’azur.
S’il creuse de ses crocs pour enterrer la joie, on peut le chant.
A ses sanies, on peut la pluie, le bord des rivières, la peau aimée.
S’opposer devient un langage.
Ecrire fixe, épingle, cloue.
Contre le poison qu’il enterre en pleine chair, on peut les arbres et leurs secrets.
A lui, noyé de plaisir au milieu de ce qui schlingue, on peut tendre le printemps, le chocolat fondu, la violette cachée. Ça aussi, c’est un poing dressé.
Oh, la puissance du dérisoire.
Les larmes, contenues ou pas, pour lui, bel apéro.
Mais on peut la récré, le diabolo et la marelle. Le jeu, le désir, l’oiseau.
Au froid de cave de son haleine, on peut le cristal et la neige, on peut le bois, la sève, la voile.
Le combat ne nous est pas toujours favorable.
Mais on peut la douceur de doigts minuscules fermés sur un seul des nôtres, on peut les mots d’amour d’où qu’ils viennent, amant, enfants, petits-enfants, les mots tout court, ceux qui aident, allègent, soulagent, habillent.
Qu’il crache, éructe, dansote sur les cendres, ricane tant qu’il veut.
Demeurons farouches.
Pégase
Je suis Pégase au nom porteur de source,
celui dont le sabot connaît si peu le sol.
Le père de tous les chants
mon galop de cristal
mes ailes en feu d’étoiles
mon ventre de nuit
tout en moi dit le sang de ma mère
les pierres nées de ses yeux
la lune comme une bonde
qui avale les astres
je sais pourtant
le murmure de l’eau
comme la puanteur des combats
le cri des guerriers avant la mort
les tombes du carnage
comme
la poésie
paix d’émeraude sur l’oubli des falaises
Je brise tous les murs
avec du vent
cheval d’azur
milliers de mots danseurs sur ma crinière
puissance du ciel
l’Olympe en mouvement
je dresse vos sommeils
vos rires ô petits hommes
pourtant
je ne suis rien si vous ne rêvez pas.
Chair de houle
La mer à qui le vent
donne la chair de houle
l'horizon détracé d'écume
brouillard de sel
Noroit brisant le ciel
au bleu passé
drôles de sirènes
à contrechant
la rage au sillon moutonne sa colère
et pousse
pousse
gifle les voiles
avance
avance
se débat
mais seuls les bateaux voyagent
et elle ne leur pardonne pas.
Fleuve ambigu compteur de pierres
Mémoire
fleuve ambigu
compteur de pierres
arbre dont chaque fruit est un deuil
compagne du surplus de nuit
Mais
aussi lien
parure
parjure.
« je t’oublierai un jour »
cent ans plus tard ton nom est là
impossible à désinscrire
ineffaçable dans
le sable des veines.
Mémoire
rasoir
douceur
écho
gare ! avec le temps tu t’allèges
l’oubli n’est jamais loin
pour peu qu’un ciel de traîne
s’amuse
à balayer les pluies