Cher non-journal
Ce noir m'ennuie. Il est profond, sans âme, rongeant dans son infinitude. L'obsédant silence du rien, l'abyssal vertige du non-être, et moi au milieu comme un con.
Trop longtemps que cela dure. J'aimerais œuvrer, mais cet abîme en moi se prolonge dans une totale absence de concept. Je flotte ; je me voudrais dérive.
J'ignore; je me rêve agissant.
Je me vautre dans mon nulle part quand mon plus cher désir serait la fatigue, les yeux cernés, l'essoufflement.
Quelque chose, pourtant... Une brise, un souffle, un effleurement. Une fêlure dans ce vide où viennent sombrer tous les vertiges, auquel j'appartiens que je le veuille ou non.
Le Vouloir. La clé serait là ? Comment le savoir si je n'essaye pas un minimum... Gros effort, j'en conviens, après de nombreuses éternités de paresse. Bon, je me connais : si je commence, ma première pensée sera pour le bien-non-être que j'ai quitté, et je ne serai plus qu'un vaste remord impuissant.
Certes, mais j'en aurai fini avec la vacuité. Cette salope de vacuité. L'épanouissement doit naître d'une foule de choses possibles, mais en aucun cas de la vacuité. Bon, je me lance. Ténèbres, préparez-vous à mourir.
Et d'abord, je veux du bleu sur ce noir ; "bleu" me paraît un joli mot, qui caresse l'espace et le rend moins amer. Vouloir, oui, c'est ça ; je sens que le changement s'amorce, me voilà presque fébrile, pour un peu. Un "autre chose" frémit dans le silence, glisse sur l'obscurité, en fait une vague qui se rétracte, s'étend, zèbre le vide comme une couture.
Si je voulais donner un nom à cela aussi... "sourire" ? Oui, je prends.
Pas mal, "sourire".
Qu’est-ce que je m’amuse. J’aurais du commencer plus tôt.
Plus de limites : je veux du ciel sur le sourire, une vie que je puisse regarder. Des créatures de toutes sortes, ailées, ou pas, finaudes, végétales, instinctives ou abruties. Tout pour la distraction.
Et là, je tiens l’idée : la plus importante de toutes, je vais la faire à mon image : lambine, velléitaire, immature et prompte à l’ennui.
Le sourire bleu se nommera Terre. La Créature, Homme.
A partir de maintenant, tout convergera vers un beau et terrible ravage.