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Les jours différents des autres, 5

Les jours différents des autres, 5

Je t'ai quitté à-bas de ton cheval, le coude abîmé. Tu es évacué vers un hôpital... Je sais l'avoir dit bien des fois, je n'ai pas connu le jeune homme que tu étais, mais il y a des passages, dans ce qui suit, où je te retrouve pleinement. Mes aînés, qui liront, comprendront ces "retrouvailles" ils éprouveront la même chose.

Il y a là, dans ce qui suit, deux choses que l'homme vieilli (toujours aussi beau ! ) n'avait en rien perdu : la finesse du regard, l'analyse distanciée, et la sensibilité. Extrême.

10 novembre 39

On me récupère et m’évacue sur l’hôpital de Guise où je m’empoisonne sévèrement dans une longue salle dallée à côté de copains qui râlent.

En face de moi, un motard qui s’est retourné dans la nuit, s’est cassé une jambe et a abîmé l’autre, collectionnant par ailleurs divers autres cuisantes contusions et écorchures.

Plus loin un piéton bousculé par un cycliste. Un crâne fêlé.

A côté de moi un collègue de la 46 cantonné à Le Hérie-Laviéville, qui s’est habilement coupé trois doigts en même temps qu’une branche. Le Hérie-Laviéville, c’est le port d’attache de mon ami Rousselard qui de là exerce à plusieurs lieues à la ronde et jusque à Guise ses ravages casanovesques.

Huit jours après mon entrée mon voisin de droite meurt d’un abcès à la gorge. Il râlait en respirant. Un jour que nous lisions en silence, un silence plus pesant encore a relevé nos têtes penchées sur d’antiques actualités d’illustrations désuètes : il ne râlait plus... Atmosphère réconfortante…

Mon bras, que le Major m’avait remis en place en me faisant faire un beau rêve, a l’aspect d’une baudruche gonflée. Il s’orne de marbrures violacées- désespérant ! j’ai horreur du violet – et aussi de taches vertes – un vert livide- mais j’aime le vert.

Mes mains et mes doigts ont un volume inusité. Je supporte le tout dans une serviette blanche en sautoir…

Journées interminables. Nuits encore plus longues. Mais le forain mon voisin est un type admirable. Il émet de savoureuses réflexions qui vont crever à la surface de cet ennui stagnant, comme de joyeuses bulles. Il s’enveloppe le chef et le col dans trois mètres de bande Velpeau avec un soin méticuleux et un frisson rétrospectif en pensant à l’abcès à la gorge qui étouffa notre voisin et l’épargna, lui. Puis il conclut en se mirant dans la glace qu’il a « les mirettes en couilles d’hirondelles ».

Mais un jour, nous recevons l’ordre de nous préparer pour évacuer l’hôpital.

Seul restera le motard, intransportable...

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