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Les jours différents des autres -(cahiers manuscrits)- 8

Les jours différents des autres -(cahiers manuscrits)- 8

Je t’ai laissé dans ce qui précède en homme heureux des retrouvailles avec ta femme, tes enfants. Ils sont deux : mon frère Michel, âgé de 4 ans, ma sœur Françoise, minuscule de quelques mois apeurée par « le monsieur harnaché de cuir » qui la « séduit habilement ».

 Une permission due à un coude cassé lors d’une chute de cheval t’a fait retrouver ton monde, élargi à ta mère, chez qui tous sont réfugiés et qui fera vivre cette tribu avec sa seule pension de veuve pendant quatre longues années ; plus la grand-mère de maman, mémé universelle que je n’ai pas connue mais qui se tient pas qu’un peu là dans les mémoires, en « arrière » nourricière, terrienne et adorable, qui appelait ma sœur FRRRançou en Rroulant les R…

Je l’ai écrit plus haut, au tout début de ces « jours différents des autres », les 7 premiers « épisodes » sont tirés de feuillets dactylographiés, donc écrits après coup. Cette parenthèse enchantée a eu lieu en novembre 39.

Nous voici maintenant dans tes cahiers manuscrits, écrits à chaud, sur la couverture desquels figure en bonne place le cachet du stalag. Ils ont dû l’apposer en découvrant ces cahiers commencés avant ton emprisonnement. J’ai donc supposé que nous sommes toujours en 39.

C’est de ta fille aînée que je tiens ces carnets, qu’elle m’a photocopié avec patience.  Tu nous verrais quand on est ensemble… Réunies dans l’amour de toi, tu es vivant comme jamais dans les coeurs-choeurs croisés de tes deux nénettes.

Mais il suffit.  Maintenant, je te laisse parler.

                                                                                                                                                                                          

 

1 heure. Réveil à la mitrailleuse.  Ça crépite aux alentours. On ne sait trop où. Un sabbat du diable qui s’arrête d’un coup et que suit un calme plat.

J’avais recommandé la veille un lever matinal. C’était un conseil inutile. Tout le monde est déjà debout. Les charriots se remplissent à nouveau. Les familles se regroupent, et l’on reprend la route, sous les étoiles…

Laon. La ville s’étage devant nous, noire et morne. Un gendarme, en faction au croisement des routes d’entrée semble en être le seul habitant. Les réfugiés, qu’une idée fixe illumine, cherchent la gare. Mais les voies sont coupées. Il faut continuer sur Soissons.

Nous contournons Laon à l’aveuglette et nous retrouvons par hasard la bonne direction, n’ayant rencontré sur notre chemin que des voies barrées et pas une indication pour suivre celle qu’il fallait.

Et de nouveau jeunes et vieux reprennent leur marche silencieuse et angoissée. Des femmes poussent en pleurant des voitures de gosses. Sur le bord de la route des vieillards harassés demandent une place dans une voiture mais chacun pour soi et Dieu pour les autres.

D’ailleurs tout véhicule est plein à craquer. Quant aux autos, elles filent, caparaçonnées de matelas, hérissées de vélos, spiders gonflés de valises, de chaises, de casseroles.

Nos paquetages sont toujours dans le charriot de l’aimable Belge avec qui nous voyagions la veille. Derrière nous se traîne une jeune femme, soutenue par la voiture qu’elle pousse. Mon camarade et moi nous relayons pour la soulager. Pendant que l’un pousse, l’autre s’accroche aux ridelles du charriot.

Derrière nous l’horizon rougeoie, les bombes claquent dans Laon que nous venons de quitter il y a vingt minutes. A notre gauche, noire, une flèche traverse le matin gris. Trois flocons blancs l’encadrent, et l’avion pique derrière un rideau d’arbres. Nous sommes en plein bois à mi-chemin entre Laon et Soissons. Une route à gauche, une à droite. Au croisement un motard nous sépare, civils d’un côté, trouffions de l’autre.

Là-bas, sur le bord de la route, ma bonne étoile semble se matérialiser sous les traits aimables d’un AUTOBUS. Et de foncer, Baldu et moi, coudes au corps vers ce véhicule à moteur. Nous nous enquérons bien poliment et le cœur battant auprès du Phaéton qui en soigne les chevaux-vapeurs, du lieu vers lequel sa destinée le pousse. C’est Soissons. Gloire à Dieu !  

Ce bon vieux bus parisien (ça fait plaisir à voir) a été en quelque sorte transformé en garde-manger pour les besoins d’une C.R.V. et transporte 2 kgs de viandes diverses, outre un fut de pinard dont le maître à bord ( une manière de réserviste rougeoyant sous son bleu horizon) use largement avec nous. Après quoi il nous fait miroiter les attraits d’un beefsteack prélevé sur sa cargaison, qui sera cuit, dit-il, avant l’arrivée à Soissons par une personne de sa connaissance.

Malgré toutes ces qualités ce bus a un défaut. Son radiateur fuit. Ce qui fait que sa moyenne horaire ne s’améliore guère que dans les descentes…

(A suivre)

 

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L
Je reste pensive devant ces pages ... Tout cela nous parait si loin déjà. Et pourtant ...<br /> Il me semble soudain que nous sommes cette génération charnière qui peut encore transmettre ce vécu par filiation interposée. Non, les mômes, sortez de vos livres d'histoires ânonnés, bachottés et vite oubliés. Ce n'est pas d'Histoire que je parle, c'est de mon histoire, imbriquée à l'autre, la "grande", l'impersonnelle, et c'était hier. <br /> H I E R .....<br /> Pourvu que jamais demain ne ressemble à cela. Faites gaffe, gamins, la haine, c'est facile.
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