Honte ancienne, et surtout, drôlatique. Comme elles ne le sont pas toutes…
Je travaillais alors dans un établissement hospitalier aussi impressionnant que vénérable dans son jus architectural en partie XIXème, vitrine gérontologique pour l’Europe entière, (c’est du moins ce que se plaisaient à croire les chefs des différents services), où la modernité des prises en charges du patient le disputaient à la solennité des lieux. Non seulement j’y gagnais ma vie mais j’y habitais : nuance d’importance expliquant les rapports privilégiés que j’entretins avec l’endroit, qui m’a marquée à bien des égards tant sur le plan humain que professionnel, et on notera que le terme « humain » vient en premier.
Mais foin donc, je poursuis.
Il y avait dans ce beau site Ivryen (1) une bibliothèque réservée au personnel, oasis dont la vastitude comme la diversité de l’offre faisaient mes délices. S’ y trouvaient aussi bien les dernières nouveautés que des polars à l’ancienne, de la poésie, des livres de philo, d’histoire, de cuisine, des documents de droit administratif, le tout amoureusement collectés par l’âme du lieu, bibliothécaire et ex-kiné, lettrée et cégétiste, dont le fort caractère, le courage à un moment de sa vie où il en fallait et la saine colère toujours vivace envers les cons m’allaient bien au teint (M.L.L si tu me lis un jour sache que je te salue).
Avant que l’hôpital fût doté d’une salle de sport, toujours pour le personnel, il fut convenu que la bibliothèque, assez grande pour accueillir les sportifs confirmés ou non, ferait en attendant l’affaire deux fois par semaine.
Glissons sur les diverses étapes de mise en place. Toujours est-il qu’un mardi printanier, à l’heure de la coupure-repas, je me retrouvais en tenue aérienne et sur les instances répétées d’une collègue à qui ma santé semblait importer beaucoup plus qu’à moi, prête à attaquer un continent inconnu: la gymnastique holistique.
J’irai droit au but, cette unique séance m’a surtout musclé les abdos : à force de rigoler en me concentrant pour que ça ne se voie pas.
Dès le début, ça s’est mal goupillé. La « prof », être sucré auréolée d’un mysticisme new-age et d’une voix flûtée, m’avait gratifiée à l’arrivée d’un regard qui tenait plus du scanner que de la simple évaluation. Non contente de me jauger, elle avait proféré un : « vous avez vu votre dos ? » tout en tournant le sien sans attendre ma réponse.
Laquelle avait été un « pas souvent » maugréé à grand peine car poussée par ma collègue il me fallut m’intégrer au cercle, au sens propre. Nous formions en effet une ronde. Après quelques courtes minutes d’échauffement, lequel consistait à tourner en marchant lentement pour « sentir l’espace », nous nous arrêtâmes, bras tendu, toujours main dans la main, pour se lâcher et s’asseoir ensuite, la prof au milieu, assise itou.
Une angoisse m’étreignit soudain. On n’allait pas jouer à la chandelle… ?
Ben non.
Obéissant à l’injonction de la Gouroute nous nous allongeâmes avec grâce. Après quoi il fallut s’activer en suivant les directives toujours lancées à la flûte vocale par l’intéressée, qui les exprimait ainsi : « demandez à votre genou de s’élever pour monter jusqu’à la poitrine, puis demandez à votre jambe de se tendre tout en respirant àààà fond pfffffouh…
La discipline étant la force principale blabla, mes membres inférieurs obéissaient gravement bien que je me fusse interrogée une brève seconde sur comment ma jambe pouvait respirer. Hormis cette preuve de mauvais esprit laissée avec prudence en mon fort intérieur, tout se passa à peu près bien.
Jusqu’à l’apothéose.
Après trois quart d’heures de demandes diverses établies auprès des « membres sup » (terme employé par la maîtresse en chef) ainsi qu’à mes abdos obliques et mes fessiers moumous –le boulot administratif, c’est statique- nous nous retrouvâmes en cercle derechef, mais cette fois concentriques. Explication : une moitié du groupe formait cercle à l’intérieur de l’autre, les éléments composant le cercle inférieur devaient s’agenouiller, les bras le long des cuisses à plat côté dos de la main, les pieds posés sur leur arrière train, dans une position fœtale et ventrière néanmoins. Vous suivez ?
C’est que, vous comprenez, ils étaient </strong>les rochers.
Le cercle extérieur, que j’honorais de ma présence, se trouvant être rong>les vagues.
Après une grrrraaaaande inspiration inshshshshsh nous devions déferler avec harmonie sur la gent minérale, qui devait de son côté se concentrer en exxxxpiiiirantpfououh pour nous absorber.
La respiration alternée, ça s’appelait.
En clair, on se devait de valdinguer sur la couenne des collègues (je parle pour les vagues) de façon qu’ils absorbent notre élan vital (les rochers).
Trop hilare je suis tombée sans grâce sur une aide-soignante qui ne m’avait rien fait, et nous finîmes toutes deux vautrées comme des cacas sur le sol en dur. Ce qui me valut un sérieux coup de semonce de la part de l’Adjudant Holistique. Après quelques excuses mâchonnées je regagnai le cercle aquatique, prête à reconsidérer mon déferlement car enfin de vous à moi c’était la première fois de ma vie que je déferlais.
Las.
Impossible de le faire autrement qu’en hoquetant. De rire.
Je fus jetée comme un balai par la Colonelle à voix de flûte.
Perdue pour la gymnastique holistique.
Ce qui me rend triste, c’est que je n’ai plus jamais déferlé depuis.