Tu progresses, tu avances, tu tournes quand même en rond, toujours dans l’ignorance de ce qu’il doit t’advenir, dans ce qu’il faut bien qualifier d’incurie militaire et de bordel ambiant…. Tu arrives quand même à t’auto-étonner, notamment dans d’insoupçonnées capacités …bibitives ?
20 mai
Autre journée de footing pour n’en pas perdre l’habitude. Premier déjeuner à Beaurepaire. Rencontre, sur la route, des deux cuistots de la 46. Deuxième déjeuner après Creil. Arrêt et coucher à Crouy-en -Thelle.
Trajet sans histoire, seulement occupé par celles de notre pauvre Lartigue que la douleur égare.
Suant sous son casque et sa capote, il ne se démunirait pour rien au monde de ses bagages (que, quant à nous, nous avons empilé dans la carriole du hussard vétérinaire), et coltine avec une morbide obstination son lourd attirail.
Ce pas-verni a été pris à Laon pour faire le coup de feu contre de problématiques parachutistes et en a éprouvé un tel choc qu’il en est tombé malade. C’est ainsi qu’après « avoir perdu Garcin (« papa ») et ma musette et mon masque à gaz » il a été fortuitement récupéré par Lhoste-Clos qui l’a pris sous son aile.
Un véritable cauchemar. Nous essayons de le remonter. Rien n’y fait. Du coup nous nous fâchons et il essuie une sévère engueulade qui semble le remuer un brin.
Balduzzi, incorrigible gouailleur conclut philosophiquement que s’il est déserteur il n’y coupe pas d’une mort violente et qu’après tout, une balle française ou une balle allemande « on n’en est pas moins clamsé, pas vrai ? »
21 mai
Lhoste-Clos, Fenin et Goudeaud, plus heureux que moi, ont récupéré la 46 grâce à la rencontre du coiffeur de la Cie auto qui croisait une camionnette à Crouy-en-Thelle. Une rude envie m’a pris de le suivre et de retrouver les copains. Mais il faut que je rende compte de mes actes aux autorités dont je dépends pour le moment.
Arrivés la veille à Crouy-en-Thelle , nous en repartons d’un pied alerte, toujours à la recherche de cette Bon Dieu de 409ème compagnie, que Lucifer confonde.
Marchons donc, encore et toujours.
Marche systématique et parallèle au soleil, commençant avec lui, finissant avec lui. Sain exercice, mais qui ne laisse pas de stimuler excessivement la faim et la soif. Une soif d’enfer, que le soleil et la pipe entretiennent à un degré tel que j’arrive au point de vue bibition à des performances grandioses dont, civil, je n’aurais pas eu idée. J’alterne, dès l’aurore, la menthe verte, le café, l’eau pure, le coup de blanc, le coup de rouge, la bière et le pernod, au petit bonheur des ravitaillements, mais à une cadence qui sept jours avant m’eût laissé rêveur. Dieu merci, ces pays où nous continuons d’arborer notre point d’interrogation avec une touchante persistance, ne sont pas évacués et le ravitaillement y est facile, tant solide que liquide.
Par contre, les fonds commencent à baisser.
A Meru, paraît-il, nous aurons sûrement le renseignement tant désiré.
Va pour Méru.