Retrouvé à Dieudonne, après une enième errance, le « distingué sapeur Cousillon » tout en te faisant siroter un Bordeaux déniché dans un lieu connu de lui-seul, te narre sa propre épopée…Et puis, tu bois du lait, tu chasses le parachutiste, ton adjudant t’énerve, l’humanité et le salut viennent d’un maçon, et les balles sifflent, et te voilà dans la… routine ? Heu.
Il appert que la 409 s’est allée fourrer à Péronne dans un guêpier dont elle n’est sortie que par miracle. Lui, Cousillon, abandonné par la susdite compagnie (décidément ça se fait beaucoup cette année) a trouvé un sûr refuge dans les caves du château en compagnie d’une femme hystérique.
Après quoi cet homme précieux nous offre un gite chez un indigène du pays. C’est un maçon italien, auteur d’une nichée d’enfants en bas âge qui nous offre une manière de taudis où trois paillasses recevront pour la nuit nos membres endoloris.
22 mai
Autre déménagement. Pour aller où ? Nul ne le sait. Ce qui est clair, par contre, c’est que les huiles partent en bagnole et que nous, le petit peuple, ferons la route à pied.
Partis entre 9 et 10 heures nous arrivons à treize heures à Laberville où nous retrouvons la 409 qui nous donne l’ordre d’attendre… puis nous ramène en camion à notre point de départ.
Mystère et poils de mousqueton. On explique le fait par le sempiternel « faut pas chercher à comprendre » qui est l’inévitable terminus en semblable cas.
A la ferme du château de Dieudonne, siège de l’E.M , on trouve du lait. Excellent ramasse-poussière qui nous débarrasse agréablement la glotte des kilomètres poudreux que nous avons avalés. Après quoi nous allons déposer en chœur nos fatigues sur nos grabats italiens.
23 mai.
Nous reprenons notre harassante inactivité, quand dans l’après-midi un évènement imprévu vient secouer notre torpeur.
Chasse aux parachutistes ! On m’arme d’un Lebel. Comparativement au mousqueton de cavalerie, ça me paraît être une sorte de Monkhala d’Abd-El-Khader dont je suis passablement embarrassé.
On nous forme en deux troupes et nous partons, en file indienne, cerner un mamelon boisé qui s’élève derrière Dieudonne. L’herbe est tendre, l’ombre fraîche et le paysage bien trop bucolique pour jouer au Sitting-Bull. Mais jugulaire, jugulaire, l’Adjudant est là-bas, qui veut son parachutiste, et nous flairons la proie le nez tendu, l’oreille frémissante, la pupille contractée et la pétoire en arrêt.
Une balle siffle à mon oreille droite. C’est parti d’un buisson à deux cents mètres derrière moi. Toute la troupe se réduit à l’épaisseur du gazon environnant. On scrute les lointains sous l’ombre du casque. Une autre balle claque et siffle en sens inverse, déclenchant un triple écho dans l’azur endormi. L’Adjudant apparaît en haut du mamelon. « Qui a tiré ? « gueule-t-il, avec sa belle voix d’Adjudant. Pas de réponse. Il réitère, gesticulant, et le parachutiste, si parachutiste il y a doit bien s’amuser.
Quelque maladroit a sans doute lâché son coup par inadvertance. L’autre en face a répondu, ce qui complique la situation. L’adjudant abandonne et nous décidons de battre le boqueteau voisin dont l’ombre cache sûrement quelque mystère.
En fait de mystère, il y a surtout des ronces fort drues dans lesquelles je vais m’empêtrer, coinçant mon maudit fusil dans les épines avec une sacrée peur qu’il ne parte tout seul déclenchant sur moi une salve meurtrière. Affreux moment.
Je réussis tout de même à trouver la sortie et reviens à Dieudonne, bon dernier et fort en sueur. A cette chasse, il ne manquait que le gibier.
24 mai
Je rêvasse sous de frais ombrages quand arrivent des avions. Deux bombes. Je me jette à plat ventre. L’alerte passée, je me relève et m’aperçois que j’étais couché dans la…enfin, comme vous dites.
Maintenant, je suis verni.
25 mai
Autre chasse aux parachutistes. Pas plus de parachutistes que de caviar en branches. Mais nous sommes cette fois à Frénécourt, à 25 kms de Dieudonne dont nous sommes partis le matin en camion. Notre nouveau home est une grange où loge toute la compagnie sur toute la paille que doit produire la Seine et Oise.