En ce matin d’Août radieux, (traduisez depuis l’aube-grisaille clôturant une insomnie), me revient Dieu seul sait pourquoi un souvenir. Lointain, mais douloureux pour m’avoir révélé ceci : nos pires hontes peuvent trouver leur source au sein de nos propres enfants.
Pour bien vous faire comprendre l’étendue de mon humiliation, souffrez un prologue que je tâcherai de rendre aussi bref que possible.
Je suis une femme moderne, ayant donné le jour à une fournée de trois enfants, dont l’aîné n’est pas du même papa que les deux suivants. Vous suivez aussi ? C’est bien.
Sans donner dans l’auto-confessionnal disons pour résumer que :
J’espère que vous suivez toujours.
Pour d’aveuglantes raisons tenant d'une logique élémentaire, les deux derniers appelaient leur père « papa » ce dont il y a lieu de se réjouir : c’est bien le moins.
Voici pourquoi, lorsque mon aîné disait « papa » en narrant une quelconque anecdote, je demandais de façon anodine entre toutes dans cette joyeuse famille : « lequel ? ».
Ça ne faisait frémir personne.
A noter : pour corser, les deux papas ont le même prénom. Ce qui ne laisse pas d’avoir des avantages, le moindre n’étant pas la tête de l’institutrice à la maternelle quand mon petit garçon- l’aîné des trois, donc- lui avait dit avec une papale sérénité : « j’ai deux papas Pierre ».
La honte que j’évoque ici n’a rien à voir.
Pour être franche, ce moment-là, j’en ris encore.
Mais quittons le préambule et venons-en au fait.
Un jour, devenu largement adulte au point d’avoir quitté la maison, mon bien-aimé premier-né me téléphone, pour une raison pressante oubliée depuis.
Je réponds à sa question, il digresse, je le suis, nous papotons, il dit un truc qui me fait rire, je ris donc, depuis toujours assez bon public car ce jeune homme a pour lui comme ses frères et sœur un humour solide et je n’ai pas à me forcer pour me poiler à ses bêtises. Il me parle d’un autre truc, puis d’un troisième, je renvoie, on rediscute. Et ça dure un moment : c’est calme au boulot, son frère est à la fac, sa sœur au collège, j’ai tout mon temps. On délaye, mais bon, je dois quand même vaquer, il conclut tout ça par un « ça dépendra de papa » à quoi, encore béate de notre échange, je retourne la question aussi banale qu’usuelle entre nous :
- « Lequel ? »
S’installe alors un silence énorme.
Incongru.
Effrayant.
Un silence monstrueux dont je ne comprends pas la durée car enfin, qu’ai-je dit qui ne soit pas…
D’une voix toujours courtoise, mais un poil sèche, sans arrière-note-fruitée-façon-Beaujolais, plutôt un frémissement anxieux mâtiné d’envie de rigoler à millidose, la réponse claque alors :
- Ben, le seul que j’ai.
Et la voix, que je reconnais ENFIN pour être celle de mon SECOND fils, celui à cent pour cent pur beurre de l’homme de ma vie NUMÉRO DEUX, de rajouter avec un flegme que je salue encore :
- Enfin…à ma connaissance.
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Je soussignée certifie que c’est la seule fois de mon existence où j’ai confondu les voix de mes garçons.
Cela ne s’est jamais reproduit depuis.
Attestation faite à la demande de moi-même, pour servir et valoir ce que de droit.