Aaah, Venise…
J’en garde une foule de souvenirs bien doux, mais vous n’en aurez pas la teneur pour d’évidentes raisons de vie privée.
Ville ô combien dévolue aux transports amoureux, Venise se prête toutefois avec la même grâce à la complicité amicale. Surtout réduite à deux personnes.
Je m’y rendis quelques décennies plus tôt en compagnie d’une amie ayant d’ailleurs gardé ce statut depuis : c’est assez fort pour être souligné.
Venise se partage : y aller seul (cela m’est arrivé aussi) n’a pas le même goût.
Aussi, en ces années actives, je profitais de l’aubaine avec délectation. Nous partîmes en filles la semaine succédant immédiatement celle du carnaval : froid et calme assuré, hôtel charmant retenu depuis la France, avec un système de coupon donnant droit à des coups à boire dans divers palazzi, un chocolat moelleux chez Florian, un concert Vivaldi à la Basilica dei Frari… Ces détails insignifiants vous indiffèrent sans doute, mais j’ai gardé les coupons en question des années durant. Parce que les souvenirs y afférents…
Le panard.
Après un voyage sans encombre hormis 38 contrôles de billets alors qu’on essayait de dormir –AAAh, le train de nuit quand on ne prend pas de couchettes- nous arrivâmes etc….
Mon amie et moi sommes dissemblables à maints égards. Quand je grelotte, elle évapore. Je dormais donc avec un pyjama pilou épais et sous une couverture de rajout. Elle, pragmatique, avait choisi celui des deux lits le plus près de la fenêtre, pour pouvoir l’ouvrir la nuit.
La fenêtre.
En Février.
Voilà pour le décor.
Oserais-je vous dire que le soir après des heures de marches et un repas reconstituant, on ne faisait pas long feu avant de sombrer dans un sommeil italien. Sauf que je me prenais invariablement un bain de pieds dans un bidet en plastique figurant tout naturellement sous le lavabo.
Comme quoi Venise à deux lorsqu’on n’aucune obligation de plaire, se vit dans un parfum de liberté insigne.
Il y eut une nuit où d’une chambre voisine se fit entendre un raffut qui provoqua une irritation telle que bientôt je râlais comme une perdue parce que je n’arrivais pas à dormir. Mon amie, qui avait à l’époque un sommeil de bébé, se trouva empêchée aussi, mais du fait de mes ronchonnages : il fallait intervenir. Rassemblant tout mon courage, au demeurant fort maigre, je me rendis en tremblant –mais énervée, oh là- heurter l’huis des jeunes godelureaux qui osaient beugler à trois heures du matin.
C’est qu’il est une autre différence entre nous : elle n’est pas timide en ce type d’occasion. Moi, si. Enfin, je l’étais.
Quand la porte s’ouvrit, je distinguai outre l’ouvreur, post-ado de fraîche date, trois autres garçons l’œil assez brillant et la parole confuse. Gentils, toutefois : ils m’octroyèrent un sourire niais qui me rendit plus audacieuse. Je claironnai un « on voudrait… » pour me rendre compte à la seconde suivante que :
Je terminais donc mon injonction par un « … dor-mir » surarticulé comme à l’intention de trois demeurés. Le pire, c’est que je mimai la chose, joignant mes mains et les posant sous ma joue (pas la balafrée, l’autre) pour faire l’oreiller, voyez.
Je ne sais pas s’ils ont compris, mais quand je regagnai notre nid avec ce que je pouvais de dignité, je narrai à mon amie de quelle façon je les avais fait taire : le résultat ne se fit pas attendre.
Nous sommes dissemblables en bien des points, mais les communs sont en nombre : il me semble l’avoir dit ailleurs, elle et moi on ne rit jamais. On tonitrue.
On a tonitrué de concert, sans se demander un instant si on pouvait déranger.
En tout cas, les bruyants d’à côté, on ne les a plus entendus.
C’est bon d’être égoïste.
Surtout à deux, à Venise.