L’agaçant, quand on fait partie des émotives contrôlées, c’est que personne ne vous croit si vous avouez :
- Être timide
Commentaire incontournable : « Naaaann, pas toi ! » Petit rajout, (voix étouffée) : Si ? »
- Deuxième couche : incapable de réserver au resto pendant que l’Homme cherche à se garer ? Incrédulité étayée : « mais je t’ai vue engueuler à gorge déployée devant tout le monde un préposé de musée qui te demandait de pas toucher aux tableaux… »
- Contre argument : C’est pas pareil. Je fréquente les musées depuis un bail, je n’ai JAMAIS de ma vie de télérameuse regardataire conçu ne serait-ce qu’une seconde d’effleurer une toile de maître avec mes pauvres doigts.
Bien sûr ce trou-de-balle, puissant auto-proclamé (car possesseur d’un képi ? ) s’est fait aboyer dessus ; normal. L’injustice à mon endroit comme à celui des autres me file des colères subatomiques. Alors injustice + képi…
Divine ambivalence de l’être humain blabla.
Timide tétanisée dans certains cas, marchande de harengs à d’autres.
Constat : on a beaucoup moins d’ennuis à l’état de hurleuse. En vous parlant me revient l’abruti avéré qui se croit maître du Monde (au minimum) parce qu’il ouvre ou non l’ascenseur réservé aux handicapés -et qui le refuse à un ami vénéré que j’accompagne du fait que son handicap ne se voit pas- oh, l’argument qui dénote une abyssale vacuité : ton handicap à toi, notoire demeuré dont la chétive intelligence est entamée par la certitude de ton petit pouvoir minable, n’est que trop visible.
C’était au Louvre, il y a peu. Décidément, les musées…
Mais je folâtre, revenons-en au sujet.
Je maintiens l’assertion le front haut puisqu’elle est dictée par l’expérience, la grandegueulitude provoque (si on la limite) bien moins d’effets néfastes que l’émotivité. Pour la grande gueule, s’entend.
C’est du souci, l’émotivité.
Ça fait perdre un temps fou.
Jour de printemps deux décennies plus tôt. Je me rendais dans Paris pour passer un oral de concours. Fidèle à moi-même et surtout à mes doutes, je n’avais rien foutu pour préparer cet oral, vu que j’étais persuadée n’avoir pas décroché l’écrit. Petit rappel à l’usage des non-initiés : un concours, c’est d’abord un écrit, puis un oral si on réussit l’écrit. Or, entre la date où à ma stupeur j’appris ma victoire sur l’écrit, et celle de l’oral, il y eut la Genèse… Un soir, puis un matin, sept fois d’affilée. J’espère que vous suivez.
Mon état de tension à mesure que je gagnais les lieux allait croissant. Partie avec une énorme avance pour éviter le stress du stationnement (ah, ah, celui-là, je l’ai tout le temps, merci), j’avais opté pour ma tranquillité au prix d’une exceptionnelle munificence : parking payant, souterrain, assez proche de la rue où se trouvait l’Arène. Tout alla au mieux de mes flageolantes espérances, je trouvai une place sans trop tourner, remontai à l’air libre avec une presse d’imprimerie sur chaque épaule, mais au moins avais-je le temps d’aller au troquet voisin siroter un expresso tout en tirant sur ma cibiche avec une volupté dont je ne laissai pas une miette, traduisez une élégante nonchalance relevant du flan absolu. Tendue comme une corde à linge. Pour un peu, j’avalais non seulement la fumée, mais la clope avec.
Le reste se déroula dans un édredon de ouate, votre servante en enveloppe vide formula des réponses aux questions posées par l’aréopage, se leva quand on la remercia puisque le quart d’heure règlementaire – dans mon temps à moi l’équivalent du Crétacé – se terminait.
Je gagnai ensuite le parking, direct. Même pas le petit jus de l’après. Tremblais trop.
Enfin, je me retrouvai dans l’Hadès infra-urbain où les voitures en rang serré me faisaient une haie d’honneur.
Les voitures. Mais…
Où était la mienne ?
Pas moyen de m’en souvenir. J’avais bien mémorisé l’allée, un truc comme « A », le genre abordable, mais le numéro ? Remontai tout le A. De véhicule, point. Pfuitttt.
Le lâcher-prise, celui qui réduit les gens à l’état gazeux.
Je mis un temps certain à conduire ma nébuleuse personne auprès d’un monsieur qui lisait une revue derrière un guichet vitré. Encore sous le coup de l’effet retour, je lui formulai poliment un « je cherche ma voiture » qui le laissa vacillant pendant une courte seconde. Après quoi, très pro, il me demanda ce que c’était.
Dire que j’avais pu répondre sans ciller à des interrogations du genre « quelles sont les spécificité de l’AP-HP en matière de finance » moins d’une demi-heure avant… Mais là, scotchée. C’est que voyez- vous, je n’en savais fichtre rien.
Entendons-nous bien : je me tamponnais comme de ma première layette des finances de l’Assistance Publique. Mais s’en foutre à ce point n’était rien, une rognure d’ongle par rapport à l’indifférence que j’éprouve pour les voitures. Le monsieur derrière la vitre avait mis le doigt sur ma plus éclatante incompétence.
Je me suis entendue lui retourner un : « elle est blanche » d’une voix qui l’était tout autant. Ce à quoi l’homme m’octroya avec la hauteur d’un grand commis de l’état : « Madame, ça ne me suffit pas. »
Je vous épargne le détail de la suite, restons en à la procédure.
J’ai dû ressortir à pied du parking, (alors que j’avais payé à la machine, mon temps de présence s’en trouvait compté) pour aller téléphoner dans une cabine afin de demander à mon vis-à-vis marital ce qu’on avait comme voiture. Je suis sortie triomphante de la cabine pour y retourner ensuite, parce que j’avais oublié l’immatriculation. J’ai pas mal gesticulé parce que je ne trouvais plus mon stylo, et une fois que je l’ai eu en main, je me suis rendu compte que je n’avais pas de papier, alors j’ai écrit l’immatriculation sur un talon de chèque.
Le reste se noie dans les eaux du Styx, mais je me souviens que du coup, le parking m’a coûté une blinde. Au retour, commençant enfin à me détendre un peu hors l’impression d’avoir été nullarde, j’ai mis de la musique, j’ai soupiré. Et j’ai raté la sortie de l’autoroute.
Par contre, le concours, je l’ai eu.
C’est du souci, l’émotivité.