Ce pourrait être une fable : la lanterne et le coffre-fort...
Celui-ci, lisse et imbu de sa modernité avec sa poignée métallique, paraît narguer la pierre.
La pierre s'en fout : lanterne droite dans son absence de botte, coiffée d'usure noble et de correction centenaire, elle est debout quand l'objet-manant, nimbé d'un utilitarisme sans mystère, n'a à offrir à mon objectif que son triste guingois.
Mépris.
C'est la pierre qui gagne.
Pourtant, la déité n'est pas toujours sévère, loin s'en faut.
Celui-ci, tête de citrouille et mains jointes sur sa rondeur, ne peut être que tutélaire, bienveillant, gourmand peut-être. Je n'ai pas cherché qui il était, délaissant le guide pour lâcher celles de mon imagination.
J'ai retourné à ce charmant, pas plus haut que mes genoux, un sourire jumeau, tout en me baissant pour le photographier. À un dieu aussi doux d'allure et de regard, à cette lune rieuse posée sur deux épaules d'enfant, on ne fait pas l'injure de fixer de toute sa hauteur.
C'est lui qui m'a immobilisée, ce jour là.
Autour de ces piliers, des bambous froissent le vent et de leur tige souple peignent sur la couleur une ombre dense et mobile, un mouvement perpétuel.
Il suffit de regarder et le pilier brûle.
Froid sous la paume, il brûle.
Autour le vent se fait plus violent, les bambous s'encolèrent, et ce feu étrange, sans flamme aucune, dupe l'œil en dévorant l'orange.
Ce jour là, j'ai vu un feu d'ombres.
Trois immobilités ne perdent rien du jongleur , le lutin ailé des carnets 1.
À eux tous, ils ont bien moins de la moitié de mon âge.
Trois petits dos concentrés, ramassés dans leur observation. Les mômes, ça regarde avec tout : les yeux, la langue, les dents, les bras, les jambes, les pieds.
A côté d'eux, les parents patients et frigorifiés essaient de ne pas craquer.
Eux vont bien merci, sont dans la musique, les balles, l'histoire racontée. L'émerveillement, leur basique à eux.
D'ailleurs, c'est quoi, l'hiver ?
Plus tard, à Kamakura, le même sentiment de voir des gens dans l'enfance, des gens dans leur rêve,
Sur la mer, pas d'oiseaux marins. Ces points noirs hérissant l'eau sont des surfers; Il fait trois degrés, il y a peu de vagues, mais ils surfent, puisqu'ils aiment ça.
Oui, c'est quoi, l'hiver ?
Même plage. Scène banale, les notes pointues de la maman, qui chante sûrement un "viens on rentre " à sa descendance, qui obéit sans conviction. Il lui renvoie un "déjà", ou "encore un peu". Mon japonais est restreint, mais les intonations sont universelles.
Soudain, la pancarte attire mon attention.
Chez nous, les écriteaux disent "interdit aux chiens " et autres "baignade non surveillée..."
Là-bas, ils racontent autre chose.
Soudain, mon cœur se serre.
Rapaces, vos vie ne tiennent que sur un fil.
Mais vous n'êtes pas les seuls.
Et dans les deux mondes, ma tendresse va à celui qui ne fait pas ce que les autres font.
A l'encontre. C'est là le mieux.
Seul le noir et blanc pouvait cerner l'élégance de l'instant. Dame Bergeronnette, la flaque, le trottoir luisant.
À son échelle, cette vaste étendue contient son propre océan.
Autour la ville ronronne et pourtant, son chant à elle, discret, est net comme sa démarche pointillée, son plumage sobre.
A la tienne, joli détail. Ton cocktail d'eau de pluie t'attend.
Le premier encadré est tiré du recueil de poésies "Allant vers et autres escales" de Colette DAVILES-ESTINÈS Éditions de L'aigrette.
Le second du recueil "Toute affaire cessante" de Carole DAILLY. Éditions Surgir