Dessin : Françoise PAGNON
Au plus profond du plus profond des océans, très loin sous la mer, vivait une adorable petite sirène, blonde. Elle habitait avec ses sœurs dans un palais d’écume, et soignait avec amour son jardin de coquillages où nageaient des poissons aux couleurs magnifiques.
Par-dessus tout elle aimait les étés très chauds où le soleil brillait si fort à la surface qu’on voyait mille paillettes d’or danser devant sa maison. C’était si beau ce ballet de lumières et de bulles mélangées. Les poissons adoraient jouer avec parce que ça leur chatouillait le ventre.
Bien sûr, il faut être sirène pour entendre un poisson rigoler. Nous on vit ailleurs, les deux pieds posés sur la terre. Respirer sous l’eau sans de grosses bouteilles sur le dos, on ne peut pas.
C’est pour cela, d’ailleurs, que la petite sirène était ravie d’en être une : humaine, avec deux jambes, elle n’aurait plus entendu les poissons et ça lui aurait manqué. Une de ses cousines, tombée bêtement amoureuse d’un prince naufragé avait commis le pire : demander par magie de devenir femme. Tout ça pour qu’à la fin, le prince en épouse une autre.
C’était nul.
Tout aurait été parfait, dans son petit monde aquatique, si la pauvre enfant n’avait souffert d’un inconvénient extrêmement gênant quand on vit dans les profondeurs où les eaux sont plutôt fraîches.
Frileuse, elle était tout le temps enrhumée.
C’est un petit rien du tout, un rhume. Mais imagine, dans l’eau ! Quand elle éternuait, ce qui lui arrivait 2158 fois par jours, il y avait tellement de bulles qu’elle n’y voyait plus rien pendant quelques minutes. Après quoi, tous les poissons rappliquaient en masse pour se faire chatouiller le ventre.
Elle avait tout essayé pour se soigner : le cataplasme d’huîtres, l’infusion de pétoncles, l’inhalation de coquille Saint-Jacques, le jus de homard, jusqu’à l’extrait de langoustine macéré dans des peaux d’oursin. Pour rien. Et porter un gilet dans l’eau, vu qu’il est toujours mouillé…
En plus, songea-t-elle entre deux éternuements particulièrement violents, en plus, ça me donne tout le temps le nez rouge, et je suis affreuse ».
Elle n’était pas affreuse du tout, bien sûr ; mais un nez rouge n’arrange personne.
Un jour, elle en eut vraiment assez, et décida de partir vers d’autres mers lointaines, pour trouver de l’aide, ou, peut-être, un endroit plus chaud, sans courant glacial qui vous transperce les écailles. Elle nagea si longtemps qu’elle finit par s’endormir fort tard dans la nuit, épuisée, sur un matelas d’algues brunes et moelleuses. Quelques poissons insomniaques vinrent nager à côté d’elles pendant son sommeil. Ils notèrent au passage qu’elle ronflait à mort, mais la pauvrette n’en savait rien, personne n’ayant pu le lui dire ; elle dormait toujours toute seule dans sa chambre d’écume.
De petits poissons bleus jouèrent un peu avec ses cheveux, puis repartirent, en prenant soin de ne pas troubler son sommeil. Elle s’éveilla le lendemain fraîche et dispose, but un petit jus de coquillage frais et se remit en route, d’un mouvement ondulant tout à fait gracieux. A mesure qu’elle avançait, elle voyait que les poissons changeaient d’aspect, de couleurs. Les bleus étaient plus profonds, les verts plus éclatants, les jaunes plus aveuglants. Certains d’entre eux avaient des formes qu’elle n’avait jamais vues. Quand ils la croisaient, ils lui faisaient un petit clin d’œil, en plus.
Sympa.
D’autres lui envoyaient un tortillon d’amitié, avec leur nageoire. Certains la regardaient avec des yeux étonnés, et s’éloignaient en pensant : « curieuse baleine. » Bref, elle s’amusait beaucoup et il lui fallut un certain temps pour réaliser qu’elle éternuait déjà un peu moins.
Vibrante d’espoir, elle trouva le soir un autre lit douillet sur une mousse verte et mouvante. Là encore elle s’endormit d’un sommeil profond, sans voir une flopée de poissons minuscules sortir en ronchonnant des plis de roches alentour. C’est qu’elle ronflait comme une hélice.
Elle poursuivit sa route ainsi, plusieurs jours durant, nageant tant et tant qu’elle finit par atteindre un lagon, près d’une île lointaine où il fait chaud toute l’année. L’eau y était délicieuse, tiède, à peine si l’on sentait à la surface une brise si légère que pour un peu elle aurait bien passé sa tête au- dessus des flots, juste pour voir. Mais elle avait trop peur des hommes.
De gros poissons jouaient autour d’elle, ils avaient une voix beaucoup plus grave que ceux de chez elle, et s’exprimaient avec un léger accent, chaud comme tout le reste.
Elle eut très envie d’être leur amie, et imagina d’éternuer pour qu’ils puissent jouer à se chatouiller le ventre. Hélas, rien à faire. Jamais elle n’avait aussi bien respiré. Ses narines étaient dégagées jusqu’aux sourcils.
Heureusement, les gentils poissons aux grosses voix l’aidèrent à reconstruire une maison, un jardin de coquillages. Ils jouèrent ensemble à tout un tas de jeux.
Pourtant il existait dans ce paradis de tiédeur un danger terrible : les requins. Alors ?
La petite sirène vit maintenant heureuse avec ses nouveaux grands amis, et n’a plus jamais de rhume. Quant à ses nouveaux grands amis, ils ne la laisseraient repartir pour rien au monde.
Elle ronfle tellement fort qu’aucun requin n’ose plus s’approcher.