Madame,
Lorsque j'ai emménagé dans cette charmante demeure, vous m'aviez recommandé alors le voisinage, constitué, je cite :
"de personnes de qualité qui ne vous causeront aucun ennui" et si j'en juge par la façon toute particulière dont le temps s'écoule ici, fluide, léger comme les grains de sable voyageant entre les doigts, et par le silence multiforme dont les bords ouatés enrobent avec une grâce de danseuse les bruits étouffés de la rue, ceux des pas au plafonds, ou les voix lointaines parvenant à mes oreilles, c'était, je dois le reconnaître, tout à fait exact.
Je ne pouvais rêver entourage plus discret, plus silencieux, plus empreint d'une quasi-révérence pour le respect de mon repos, lequel, indispensable à une vie de quasi-reclus du fait d'une nature trop portée à la rêverie, s'avère d'autant plus incompatible avec des cloisons trop minces : voyez vous, mes habitudes sont à contre-courant, je veille la nuit, je dors le jour.
C'est comme ça depuis de nombreuses années
Pourtant... longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Mais voilà, vint un jour où je perdis quelque chose, que je recherche depuis avec une frénésie de plume que tout le monde ne comprend pas; tant il est vrai qu'un objet, une abstraction, une pauvre concrétion triviale peut changer une vie d'homme, et son absence la bouleverser. Mon rythme de vie, à l'envers de l'humanité nue, celle qui colle au soleil et à la lumière comme de sinistres papillons affolés vibrant de leurs pauvres ailes beige sale autour d'un lampadaire, a fait de moi un solitaire sans amertume, noircisseur de pages couvertes dans leur entier en deux phrases, pour certaines (ce qu'on a pu m'exaspérer à me reprocher cette prose extensive, allongée, descriptive des méandres humains en abondance) sans voir pour autant leur excellence, car enfin, quitte à passer pour un prétentieux je vous ferais savoir, madame, que la Pléïade... Mais c'est une autre histoire, je la garde, si vous le voulez bien, pour plus tard.
J'ai perdu quelque chose, oui, et je me voue à sa recherche depuis tout ce temps perdu à ne pas le retrouver.
Si par le plus grand des hasards, avec cet instinct sûr qu'ont les domestiques qui ne possèdent rien pour retrouver les effets personnels des maîtres, vous dont l'oeil et la main m'épargnent les tracasseries absurdes réservées au quotidien, vous sans qui, enfin, chère intendante, j'irai nu dans la nuit et ne boirais que du thé, si vous tombez dessus soyez assez aimable, vous qui l'êtes déjà tant, pour le poser bien en évidence sur la table de nuit, de façon à ce que dès mon réveil je puisse enfin poser mes doigts sur sa surface bénie et me procurer ce bien-être absolu qui me manque au point que j'en étouffe, au sens propre.
C'est que mon asthme ne s'arrange pas, voyez.
En espérant de votre efficience que vous remettrez la main sur ce foutu inhalateur, je vous prie de croire, gardienne ancillaire, en ma parfaite considération etc..etc...
Votre
Marcel P.