Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Petite chronique des grandes hontes - 24- À poil !

Petite chronique des grandes hontes - 24- À poil !

Petit rappel pour les non-initiés : quand je parle de grande honte Ivrienne, cela signifie que  les événements se sont déroulés à Ivry-sur-Seine, au sein de l’hôpital où j’ai sévi durant deux décennies et des broquilles.

En étant logée sur place, détail ici de taille poil à la tripaille et autres tsoin tsoin.

J’y déménageai deux fois, pour cause de praticité vu mon nombre grandissant d’enfants. Nous briserons là pour les éléments autobiographiques : vu l’aspect intimiste de la suite, qu’il me soit permis de n’en point rajouter.

Il importe toutefois que j’évoque la conformité des lieux : mon logis, situé au rez-de-chaussée, se trouvait sur le même palier que le bureau dit « des Mutuelles ».  Car il y avait, en ces temps reculés qu’à l’instar de la bohême les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, deux personnes, représentant les mutuelles hospitalières, qu’on pouvait aller trouver si les remboursements traînaient, et dont la tâche consistait à aplanir le plus possible les méandres administratifs mutualistes pour les agents de la fonction publiques qui s’y perdaient. Ils étaient nombreux à hanter ces lieux, toutes catégories professionnelles confondues.

L’une des deux déléguées, ma préférée je l’avoue, braillarde à cœur d’or, passait un nombre d’heures notables à engueuler les gens du Siège au téléphone, parce qu’ils se foutaient du monde, parce qu’ils n’avaient aucun sens du service public, parce que monsieur Machin attendait son remboursement depuis des semaines et que si eux se foutaient de monsieur Machin elle ne s’en foutait pas et les sommait de se remuer le cul…  Audible depuis la porte de Vincennes quand elle murmurait, je pense qu’elle les faisait trembler.  Corse, elle était dotée d’un accent pas possible, et ses RRRR roulés dès potron-minet me réveillaient en force…et en bonté.  Annonciade, (oui, oui, c'était son prénom)  ce monde se passe sans doute de toi désormais; le paradis s'il existe, tu y es allée sans escale. Je t’aimais.

Désolée de cette digression, mais la dame la mérite. Pour le lecteur pressé, une seule chose à retenir : du passage, aux Mutuelles. Un passage permanent. Et mon logement, sur le même palier, mais en face.

Ce matin-là, je ne travaille pas. Mon blanc chevalier a emmené les enfants, l’aïné à l’école, le second à la crèche. La troisième n’est pas même une lueur flambante dans les yeux paternels, elle ne pointera son charmant museau que trois ans plus tard.

Mon blanc chevalier a des horaires variables, il n’est donc pas accoutumé aux livraisons d’enfant dans divers lieu, mais s’acquitte de la chose comme il s’acquitte de tout, avec ponctualité et efficience.

Je goûte une joie distillée (on dirait de nos jours « pleine conscience », peut-être) : la volupté d’une douche prise sans compte à rebours, jusqu’à être fripée à mort, parce que c’est trop bon. Puis en frileuse patentée je cherche avec frénésie la serviette dont à l'ordinaire je m’enrobe sans traîner, surtout que j’ai fait durer, quand même.

Soudain, je réalise.

Les serviettes propres sont posées dans le salon, oublié de les ranger.

Plan rapide des lieux : l’entrée c’est le salon qui donne à la fois sur ma chambre d’un côté, sur la salle de bain de l’autre, laquelle communique à la chambre des enfants, qui communique avec la mienne.

En clair, on peut faire le tour de l’appart en traversant toutes les pièces. La cuisine donne direct sur le salon, séparée par un bar.

Vous suivez, j’espère.

Donc, je suis nue, mouillée, je me pèle à mort, et je dois passer au salon prendre une serviette neuve, celle de mon blanc chevalier étant trempée. Meeeerde.

Je m’exécute avec les cheveux qui me dégoulinent dans le dos et j’ai horreur de ça. Comme je ne les ai ni essuyés ni peignés, j’ai la tête d’une qui s’est mis les cinq doigts dans une prise, mais enfin, je suis seule chez moi donc là n’est pas le souci.

Ben si.

Parce que voyez- vous, mon blanc chevalier est parti vite. Trop.

Il n’a pas fermé la porte à clé derrière lui.

Et là, un type rentre, tranquilou.

À pieds secs (lui), il fait deux pas en franchissant mon seuil à moi qui est personnel et privé, puis stoppe net.

C’est quelqu’un de bien, parce qu’il devient tout rouge.

Regardant éperdument la blancheur des murs, le portrait de ma mère peint par mon père en 52, le plafond et la fenêtre, il me dit d’une voix hésitante, comme un qui ne veut pas effrayer :

— C’est pas les Mutuelles, ici ?

Question/Affirmation.

Le pire, c’est que j’ai été tellement saisie que j’ai répondu juste :

— Non.

Je ne dis pas avec naturel, (j’étais debout et à loilpé ) mais même pas crié, rien.

Ce « non » s’est adressé au vide, il s’était déjà carapaté.

Jamais vu avant. Il travaillait forcément à l’hôpital. Mais dans un bahut de mille cinq cents lits, à l’époque… Pouvais pas connaître tout le monde.

 À mon grand soulagement, je ne l’ai jamais revu.

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
A
Visiblement, il ne s'est même pas rincé l’œil. Il aurait pu.
Répondre
M
Merci pour cette bonne humeur que tu m'instilles ce matin... Et oui, parce qu'on rit franchement de tes grandes hontes, si bien racontées de surcroit, et celle-ci est particulièrement savoureuse :-).
Répondre
N
Belle aventure en somme et si bellement, tendrement et subtilement contée...
Répondre
É
Rhoooo !
Répondre
C
Eurêka !!! ça y est, j'ai compris : c'est mon "privacy badger" (anti-traceur) qui me bloquait l'accès aux commentaires. Un jour, il faudra que j'écrive une chronique des grandes hontes sur ma paranoïa sur internet !!!! En attendant, la tienne m'a fait hurler de rire, ce qui n'était pas de refus après une journée de reprise particulièrement rude ....
Répondre
B
Ah, ça fait du bien de rigoler !!!
Répondre
C
J'ignorais qu'il y eût des étapes pour gagner le paradis. <br /> Bien que cette destination me soit probablement épargnée, s'il m'advenait d'en suivre le chemin, une étape en votre compagnie me serait fort agréable.<br /> Dans la tenue qui vous conviendra.<br /> (Si ce monsieur avait eu un tant soit peu de délicatesse, mis en présence d'une Eve en tenue de travail, pour ne pas la mettre dans l'embarras, il eût du se mettre incontinent et sans barguigner*,<br /> en tenue d'Adam.)<br /> * j'adore "sans barguigner", pas toujours facile à placer..
Répondre
M
La lecture de tes chroniques de grandes hontes : un humour pétillant qui arrive toujours à me tirer un "ah ah ah " même quand la météo de mon humeur n'affiche pas : beau fixe .
Répondre
C
Merci pour la franche rigolade du matin !
Répondre