« Inanimés », qu’ils disaient. « Avez-vous donc une âme », qu’ils demandaient. Toute vie n’est qu’une quête de sens. J’aurai passé une partie non négligeable de la mienne à tenter de comprendre la sourde mais tangible hostilité des objets.
Mystère insondable.
Je sais que je ne suis pas le premier bipède à déplorer cela. Qui n’a pas retrouvé ses clés dans le fridge, ses gants sous l’évier, une écharpe sous un siège de voiture, son portable n’importe où ?
Mais tout de même.
Prenons si vous le voulez bien quelques exemples cueillis ici et là dans le cours tumultueux d’une vie qui ne le fut pas moins : la mienne.
Le grand malade qui a inventé le Tupperware, on ne l’a jamais enfermé, à mon immense perplexité. Peut-être même qu’il est riche, et là, je vacille. Parce qu’entre nous, son objectif inavoué se résumait à un grand jeu : « Cherchez Le Couvercle ». L’idoine, l’adéquat, le parfait calé sur le haut, qui fait un « pschitt » aussi discret que raffiné quand on a mis le reste de soupe dedans et qu’on s’apprête à entreposer d’un front limpide ce velouté qui ne perdra rien de sa merveilleuse texture, niché dans son cocon de plastique hermétique. Amen.
Ben non.
Parce qu’on a le choix entre un couvercle :
Je ne continue pas, tout le monde a compris et j’ai mal.
Les chaussettes.
Grand classique, on met la paire à laver, on en retrouve qu’une. Comment elle a fait, l’autre, pour s’échapper du tambour ? C’est petit.
Comme l’on est rationnelle, l’on a une boîte. Y gisent dans un silence hurlant les survivantes des couples. Qui ne retrouvent jamais, mais alors là, jamais, leur conjoint(e). Jusque-là, rien de bien foufou, ça arrive. Mais il y a une variante, peu évoquée. Et osons le mot : SADIQUE.
Soit une chaussette seule, enfermée depuis des mois dans son QHS.
Mettant fin à un temps inhumain de claustration, le/ la propriétaire opère une transhumance : la mignonne se retrouve dans un lieu ouvert — un carton, en clair — en langue vernaculaire dit « à chiffons ».
Un jour, on prend la chaussette, on met délicatement sa main dedans, et on l’inonde d’un produit qui pue pour faire les cuivres. Quelques vives minutes plus tard, le cuivre brille, scintille, rutile, irradie.
La chaussette, beaucoup moins.
Trois jours après, on retrouve… l’autre chaussette, fraiche comme une brume de printemps. On a beau lui agiter l’alter ego rendu à l’état de crotte de nez en plus grand, hurler « Mais regarde- la ‼ Une serpillère ‼ » Sa conscience ne frémit pas. Elle s’en fout que c’est un bonheur. Alors elle part vite fait à l’orphelinat, où voulez-vous qu’elle aille ? Tôt ou tard, elle fera les cuivres aussi. Seule.
Dernier exemple douloureux : le bonnet de bain.
Obligatoire si l’on piscine, rangé toujours dans le même tiroir, comme ça pas de lézard.
Eeeh si. Parce qu’entre deux il se carapate. À force d’en racheter, je dois en avoir à peu près vingt-trois. Dont pas un n’est disponible quand j’en ai besoin, soit deux fois par semaine. On ne peut pas compter sur le bonnet de bain. Le bonnet de bain n’est pas fiable, il est sournois, imprévisible, haïssable et sans humour. Et sur les têtes des manmans de l’aquagym, (je m’inclus dans les susdites) laissant passer trois cheveux follets tristounes, aléatoires et de surcroit mouillés, on sent chez lui une joie mauvaise. Il joue au cache-théière, et il est content.
J’exige l’éradication du bonnet de bain. Mais qui m’entendra, dans ce douloureux désert ?
Un Tupperware ?