Regardez la ville : il y a foule, et personne. Les marcheurs cadencent leur présence lacunaire, il semble que le trottoir roule sous leurs pieds. La houle de chaussures avance, vers quelle dévoration ? Le ciel témoin saisit l’errance ; il relève du couvercle plus que de l’altitude. Un soleil flou pâlit sa couleur safran, les nuages glissent comme le fait le ruban des passeurs, en bas.
Aucun partage dans cette mouvance, juste la reptation pressée, l’infinité des buts, le poids des divergences. Seul bien commun : l’indifférence. La vie est là, ni simple ni tranquille… Cette foison d’humains qui ne regarde pas, mais toise, il m’arrive de l’habiter. Je suis moi aussi de ceux du serpent, ceux de la vague. Sans nom qui vont plus ou moins droit avec une étoile au cœur, un port, un rocher, un paysage, une maison, une enfance. Une vie ignorée des autres transparences.
Que disent ces rues avides, ces bouches de métro goinfrées dont l’appétit ne faiblit pas à avaler la mouvance humaine jusque tard dans la nuit ? Ils racontent quoi, les phares, les klaxons, les pétarades, les cris, le grand murmure qui hurle sur les façades, résonne aux portes cochères, gardiennes dérisoires aux digicodes portés comme des bijoux pas chers ?
Pour peu que la pluie s’invite, le reflet part des pieds et le serpent navigue à l’envers, sans même qu’il le sache vraiment. Que faire de ces antipodes aux semelles, si ce n’est marcher comme des danseurs, pour un pas de deux, de dix, de mille, avec l’eau redoutée dont on craint le sourire au bas des pantalons ?
Vague et ondule, ruban d’enfer.
Le ciel est là, pourtant, même pointillé de cheminées, brodé de toitures, affadi d’enseignes. Le ciel est là, éparpillé. Comme une nuit cachée git un bout de lui dans chaque poche.