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Nausicaa

Nausicaa

Je suis le palmier d’Ulysse.

Il y eut une envolée de tissu, de cheveux, de cris.

Mes servantes ont fait claquer leurs voiles, nefs aux pieds délicats happées par le chemin.

Me voici, seule verticale sur l’horizon de l’île.

Tu marchais vers moi couronné de rosée, si beau. Je goûtais du regard le sel de ta peau ; toi sans vêtement, moi droite et farouche, de loin la plus nue des deux. Tes mots de miel ont chargé mes veines de possibles, mon espace familier, cette plage d’enfance si souvent foulée, neuve soudain par la force de tes pas.

En moi, aucune peur.

Pourtant tu n’étais pas un dieu, et je le savais.

J’ignorais ton nom, alors.

De toi à moi, quel lien ?

Des mots, un arbre, ce jeune palmier auquel tu me dis ressembler, et tes larmes aux mots de l’aède, toi présent sous un autre nom, encombré de pleurs à ta propre histoire, héros humain si peu lui-même à force de ruses.

Elles sont ta marque ; mais toi, derrière ces mille tours, qui es-tu ?

Plus tard, après l’aveu, une fois dessillés les yeux de mes parents, quand tu as enfin dit que tu étais Ulysse, ce nom m’a vue noyée dans l’océan de l’imprononcé, la beauté de ce qui aurait pu être. Je sais qu’il y aura un bateau. Il tracera ton absence d’un sillage ailé, et le vent qui suivra fera de la mer un palimpseste.

Je serai dans l’étoffe qui danse, le grincement de la proue, le chant des membrures.

J’aurais voulu incarner Ithaque, l’île de ton sang, pour que tu t’allonges sur moi de part en part, que pas un centimètre de ta peau ne m’échappe. Pour que tu t’engouffres, t’abreuves, te gaves de ma propre essence. Tu es venu à moi dans ta nudité coiffée de soleil, tu m’as sculptée de paroles, fait sortir de la glaise fragile la femme que je serai et qui ne t’appartiendra pas.

Pourtant, je suis à toi ici et maintenant, dans cette salle de banquet où tu pleures au milieu des ors, et toi, roi bouseux d’une île de cinq rochers, trois cailloux et quelques chèvres, tu éclabousses tes hôtes, éclatants couronnés au milieu des richesses.

Je sais Calypso, je sais Circé.

Je ne sais pas Pénélope, ombre qui flamboie dans ton âme triste. Pour elle, les présents, les tissus précieux, les bijoux. Ces cadeaux, d’elle à moi, lien entre deux espoirs. Le mien porté par la mer, comme le voudrait, paraît-il,  mon nom.

Celui qui viendra, si les dieux m’entendent, te ressemblera peut-être.

Je suis sur le rivage.

Le ciel depuis ton départ est d’une blondeur de sable.

J’attends. 

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M
un plaisir toujours et une découverte de technique picturale et de diététique. Un tableau: le café couleur. Une boisson le café poile de pinceau.
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J
Je tenterai la peinture au café, un jour. Volontairement cette fois . Merci Mireille ! ;-)
M
Super page, merci :) au plaisir de vous voir sur mon blog.
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A
Comme tu sais bien parler de ce désir, de cet amour, de cette soif ! "... que tu t'allonges sur moi de part en part"... Jeune vierge au désir fou. Ulysse, cet homme presque dieu, venu de la Haute Mer... Merci de ce voyage en tes mots marins.
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