L’automne avance à pas de géant, rouille les contours, le soleil pointe après une longue période de gadouille ; dans mon jardin, un trille ou deux fait ressembler Octobre à Mai, au moins à l’oreille.
Gazouillis, mousse, volute, sonate, colchiques.
Pourquoi faut-il qu’en un tel cortège de bienfaits je doive confier ici un accroc de plus, au sein de ce qui s’avère une vallée de larmes, à savoir ma vie ardente et douloureuse ?
Je me suis levée matin, avec la ferme intention d’écrire. Voilà longtemps (trop) que mes mots désertent : dressée telle une valkyrie dans cette journée débutante, me voilà armée, déterminée à faire face aux urticants potentiels –un exemple au hasard, le téléphone –qui prétendraient rompre ce temps trop rare de bénie solitude : pas un poil de ma pauvre personne qui ne soit prêt à attaquer la page blanche, cet Himalaya, cette étendue de neige qui fout les jetons, ce désert à dompter, on va voir, ah, ah, c’est qui la boss.
Cinq minutes plus tard, une envie me taraude : compteurs à zéro, l’atelier du jour sera aquarelle, non je n’ai pas de constance, oui je suis une girouette, oui ma détermination a tout de l’endive cuite, oui j’ignorerai les railleurs avec un calme hautain, parce que je les enquiquine, non je ne suis pas gentille.
Mais avant cela, une fois posé le matos, pinceaux peinture godet prêt à l’assaut du papier blanc, cet Himalya, cette étendu neigeuse etc… un besoin impérieux me taraude derechef.
Café.
Le joli moment, le bruit de la cafetière, le parfum, la tasse mousseuse, le léger brûlis sur la langue, le coup de fouet. C’est aussi le moment où je lance la musique signant l’humeur du jour. Là, c’est Chet Baker.
Je suis assise au chaud dans mon étole de jazz, j’ai mon sujet bien en tête, go.
Le temps passe avec douceur. L’oeuvrette, par contre…
Os.
Je regarde mes couleurs : check.
Mon godet, check.
Ma tasse, check.
D’où vient que le florilège attendu de bleu azuré, jaune esquissé, vert tendre, brun caramel, prend un fond délavé qui donne à l’ensemble un ton étrange ; genre peint au…crottin de cheval.
Je contemple avec une sourde angoisse ma boîte de couleurs. Les roses sont rose, les rouges sont rouge, les bleus sont bleu. L’angoisse devient de moins en moins sourde, se déploie en ricanant, j’exorcise, me dirige vers la cafetière pour me raviser à mi-chemin. Élevée par des gens ayant connu la guerre, et la faim, on m’a habituée à ne pas gâcher. Ma tasse n’est pas finie, j’avale d’un trait ce qui reste, tiédasse, sachant l’exultation prochaine avec un autre café, chaud, celui-ci.
Ceux qui me connaissent savent mon côté rationnel, froidement scientifique, voire cartésien. La conclusion de tout ceci s’impose : tout âââârtiste qui plonge son pinceau dans le café une fois sur deux, parce que la tasse est trop près du gobelet et qu’elle ne fait pas gaffe, voit le résultat picturâl sensiblement modifié.
Toute distraite buvant ENSUITE le café dans lequel le pinceau a trempé, fût-ce d’un geste aérien, peut alors constater en toute objectivité que le café n’est pas bon.
Hélas, trop tard.