Qu’elle était belle, dressée au milieu du pré d’or
droite et sombre
ses pétales intrigants bleus de rayons
l’oblique du soleil faisait d’elle un vase
couleur du passage
cri noir dans le silence brodé de vent.
Les rires abolis de mes compagnes ont reculé, jusqu’à n’être plus qu’un murmure joyeux, donc inutile. J’ai marché droit vers la folie sans frémir ; plus fort s’éployait dans mon corps un chant que je ne comprenais pas.
“Ne craignez pas, le noir n’est rien”. Ces mots me sont restés, la beauté prive la gorge de toute voix. J'ai ouvert ma bouche sèche, avide de boire en son calice. Faire mieux que la cueillir : la posséder. La serrer dans ma paume, ne la rendre jamais. Être elle, sans qu’elle soit moi : me replier, diminuer, devenir la Noire, porter ma bizarrerie terrible comme un bijou. Moi grandie dans l’or des blés, bercée du grain et du fruit, éveillée au chant du jour, d’où me venait ce désir de longue nuit, cet appétit des cris des morts, cette soif de plaintes ? je voyais tout en elle, frêle de pétale et de feuille, les fleuves aux lourds reflets, le palais sombre, le Maître. On dit que je fus enlevée, mais non : J’ai tout cueilli en arrachant la tige à la terre profonde : l’amour d’un pâle roi frère de mon père, si beau dans ses ténèbres, les pleurs de ma mère, sa révolte, notre séparation. Je savais bien avant l’arrachement ce que ma vie contiendrait de rupture, une moitié de l’année séparée de la Vie, l’autre moitié séparée de la Mort, toujours un être manquant, toujours cette boiterie.
Moi, l’infertile née de la donneuse de moissons...
Je savais tout cela, et j’ai cueilli quand même cette fleur sans soleil au parfum de danger. En tenant dans ma main cette tige vert sombre, j’ai compris ce que la paix de mes jours recelait d’ennui. Ma joie de voir la Terre s’entrouvrir, le cheval noir luisant, Lui chevauchant le vent, mon corps soulevé avec une tendre douceur, serré bientôt dans ses bras en tenailles, la chute infinie en plein cœur de la Terre.
Le vertige mordant, la force du désir.
Enfin.