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Sillons, rides et parchemins ♪♫♪

Sillons, rides et parchemins ♪♫♪

C'était il y a... longtemps. Enfin, pas tant, j'avais une petite vingtaine. Ah, ah. 

Rivoli, pas loin de Concorde. Je traverse la foule, ou je la suis: difficile à dire tant le flot est mouvant. On m'attend, mon pas sonne en silence sous les arcades vénérables mangées de touristes, de klaxons, d'éclats de voix, de verres, de rires. Au milieu de cette presse, deux vieilles.

Mais alors, vieilles. A mes yeux de vingtenaire, s'entend.

Copines ? Sœurs ? Une chose est certaine : chacune doit servir de déambulateur à l'autre.

Plus arrimées, elles sont siamoises.

Elles doivent habiter dans le coin depuis l'exécution de Louis XVI.

A côté, lorgnant quelques T-shirts arborant un "I love Paris", certaine blonde verticale imprime à sa bouche une moue carminée dont l'ampleur accentue des contours surgonflés. Des lèvres de vieille inassumée : les pires.

Je préfère encore les deux dames de tout-à-l'heure. Au moins, elles sont vraies, même si elles doivent passer au carbone 14 pour fêter leur anniv. 

Et soudain, l'explosion d'angoisse irrationnelle.

Je vois des vieilles partout. Des rides en pluie, des peaux de tambours bistouri-blues, des cous de dindon. Des mains tachées, des fesses plates sous des jeans hors-mode, des seins bas et lourds, syndrome le mamelon-me-gratte-je-me-gratte-le-genou, des hideurs jaunes, des dents trop blanches, trop serrées, trop fausses, au secours.

Les arcades sont bouffies d'un peuple de vieilles qui rampent, boitillent, bavotent.

Je suis dans une non-rue dessinée par Goya.

Je ferme les yeux, comme quand j'étais gamine et que ce salaud d'aspirateur métallique pendu dans le placard sans porte en face de mon lit me foutait une trouille à vomir.

Ça va.

L'angoisse descend, marche par marche. Elle prend son temps, mais elle descend.

Et je la croise, elle. 

Visage sans beauté apparente. C'est son sourire qui l'habille, la rend vivante. Un vrai sourire à bouton ouvert, un sourire de pétales qui lui en dresse en corolle de chaque côté des yeux. Quand elle ne sourit pas, doit y avoir le fameux pli, là, le schmoll naso-génien, qu'ils disent. Celui qui fait des bajoues.

Je la soupçonne de s'en foutre, je me soupçonne de ne pas me tromper.

Ses cheveux sont d'un gris lambda, mais forment une grosse tresse qui balance à son pas mesuré, mais vif.

Elle a un de ces pantalons très large, un cache-rondeurs à pleins ramages, de toutes les couleurs. Elle trimballe un sac qu'on sent tendu à bloc d'un tas de trucs dont elle ne se sépare pas. Ses mains tachées oisellent à bout de bras, pour rehausser son chapeau qui tombe un peu sur les yeux. Je ne voulais pas être incommodante, j'ai baissé le regard quand elle est passée. J'ai entendu un rire, je savais que c'était le sien. Me suis retournée quand même, juste pour la voir tomber dans les bras d'un type pas plus frais qu'elle et s'en foutant pareil. Quelle importance, ils étaient seuls.

Et beaux, du coup. Eh oui.

Banal ? Crois pas.

Tant qu'on a rendez-vous, on ne vieillit pas.

Cher à moi, tu veux bien continuer à noircir mon agenda, dis ?

 

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O
J'adore toujours autant ton humour décalé qui plonge ses racines dans une observation attendrie mais lucide ta vie et rajaillit en métaphores incroyables !
Répondre
J
Merci Olivier ! <br />