L'endormeur
Ses yeux : gros de métal et de nocivité. Ondulant, il trace autour de ce qu’il veut ternir des cercles resserrés. Il ne siffle pas, mais pose sur toutes choses un silence obtus, guetteur de la pire espèce ; celle qui a le temps.
Il se plaît à effacer les couleurs, les absorber, serpent-buvard qui aime la boue, la merde, les gadoues pour les vomir dans les bouches des autres, faire crever le sourire, enténébrer les rêves. Il rend les mots épais, brouillés, inutiles. Ensommeille la parole, dégueule sur la vie, fait bégayer les corps.
Le moisi du malheur, l’ombre, les ruines… Son temple, sa maison.
Il est costaud, l’endormeur.
Mais pas tant.
S’il veut l’obscur, la nuit profonde, on peut la mer, on peut l’azur.
S’il creuse de ses crocs pour enterrer la joie, on peut le chant.
A ses sanies, on peut la pluie, le bord des rivières, la peau aimée.
S’opposer devient un langage.
Ecrire fixe, épingle, cloue.
Contre le poison qu’il enterre en pleine chair, on peut les arbres et leurs secrets.
A lui, noyé de plaisir au milieu de ce qui schlingue, on peut tendre le printemps, le chocolat fondu, la violette cachée. Ça aussi, c’est un poing dressé.
Oh, la puissance du dérisoire.
Les larmes, contenues ou pas, pour lui, bel apéro.
Mais on peut la récré, le diabolo et la marelle. Le jeu, le désir, l’oiseau.
Au froid de cave de son haleine, on peut le cristal et la neige, on peut le bois, la sève, la voile.
Le combat ne nous est pas toujours favorable.
Mais on peut la douceur de doigts minuscules fermés sur un seul des nôtres, on peut les mots d’amour d’où qu’ils viennent, amant, enfants, petits-enfants, les mots tout court, ceux qui aident, allègent, soulagent, habillent.
Qu’il crache, éructe, dansote sur les cendres, ricane tant qu’il veut.
Demeurons farouches.