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La nuit en couleurs

Petite chronique des grandes hontes -13- VENISE, NISE, NISE… ♪♫♪♥

Joëlle Pétillot #Petite chronique des grandes hontes
Petite  chronique des grandes hontes -13- VENISE, NISE, NISE… ♪♫♪♥

Aaah, Venise…

J’en garde une foule de souvenirs bien doux, mais vous n’en aurez pas la teneur pour d’évidentes raisons de vie privée.

Ville ô combien dévolue aux transports amoureux, Venise se prête toutefois avec la même grâce à la complicité amicale. Surtout réduite à deux personnes.

Je m’y rendis quelques décennies plus tôt en compagnie d’une amie ayant d’ailleurs gardé ce statut depuis : c’est assez fort pour être souligné.

Venise se partage : y aller seul (cela m’est arrivé aussi) n’a pas le même goût.

Aussi, en ces années actives, je profitais de l’aubaine avec délectation. Nous partîmes en filles la semaine succédant immédiatement celle du carnaval : froid et calme assuré, hôtel charmant retenu depuis la France, avec un système de coupon donnant droit à des coups à boire dans divers palazzi, un chocolat moelleux chez Florian, un concert Vivaldi à la Basilica dei Frari… Ces détails insignifiants vous indiffèrent sans doute, mais j’ai gardé les coupons en question des années durant. Parce que les souvenirs y afférents…

Le panard.

Après un voyage sans encombre hormis 38 contrôles de billets alors qu’on essayait de dormir –AAAh, le train de nuit quand on ne prend pas de couchettes- nous arrivâmes etc….

Mon amie et moi sommes dissemblables à maints égards. Quand je grelotte, elle évapore. Je dormais donc avec un pyjama pilou épais et sous une couverture de rajout. Elle, pragmatique, avait choisi celui des deux lits le plus près de la fenêtre, pour pouvoir l’ouvrir la nuit.

La fenêtre.

En Février.

Voilà pour le décor.

Oserais-je vous dire que le soir après des heures de marches et un repas reconstituant, on ne faisait pas long feu avant de sombrer dans un sommeil italien. Sauf que je me prenais invariablement un bain de pieds dans un bidet en plastique figurant tout naturellement sous le lavabo.

Comme quoi Venise à deux lorsqu’on n’aucune obligation de plaire, se vit dans un parfum de liberté insigne.

Il y eut une nuit où d’une chambre voisine se fit entendre un raffut qui provoqua une irritation telle que bientôt je râlais comme une perdue parce que je n’arrivais pas à dormir. Mon amie, qui avait à l’époque un sommeil de bébé, se trouva empêchée aussi, mais du fait de mes ronchonnages : il fallait intervenir. Rassemblant tout mon courage, au demeurant fort maigre, je me rendis en tremblant –mais énervée, oh là- heurter l’huis des jeunes godelureaux qui osaient beugler à trois heures du matin.

C’est qu’il est une autre différence entre nous : elle n’est pas timide en ce type d’occasion. Moi, si. Enfin, je l’étais.

Quand la porte s’ouvrit, je distinguai outre l’ouvreur, post-ado de fraîche date, trois autres garçons l’œil assez brillant et la parole confuse. Gentils, toutefois : ils m’octroyèrent un sourire niais qui me rendit plus audacieuse. Je claironnai un « on voudrait » pour me rendre compte à la seconde suivante que :

  1. Ils ne parlaient pas français, bien sûr, mais pas italien non plus, pas anglais… En clair, un dialecte inconnu de moi (Turc ? …)
  2. Que j’étais couverte de mon pilou-serpillère, le cheveu hirsute, et suprême humiliation une marque d’oreiller me balafrait la joue d’est en ouest. Par bonheur, ce dernier détail ne m’apparut qu’au retour.

Je terminais donc mon injonction par un « … dor-mir » surarticulé comme à l’intention de trois demeurés. Le pire, c’est que je mimai la chose, joignant mes mains et les posant sous ma joue (pas la balafrée, l’autre) pour faire l’oreiller, voyez.

Je ne sais pas s’ils ont compris, mais quand je regagnai notre nid avec ce que je pouvais de dignité, je narrai à mon amie de quelle façon je les avais fait taire : le résultat ne se fit pas attendre.
Nous sommes dissemblables en bien des points, mais les communs sont en nombre : il me semble l’avoir dit ailleurs, elle et moi on ne rit jamais. On tonitrue.

On a tonitrué de concert, sans se demander un instant si on pouvait déranger.

En tout cas, les bruyants d’à côté, on ne les a plus entendus.

C’est bon d’être égoïste.

Surtout à deux, à Venise.

La papillonne

Joëlle Pétillot #poésimages
La papillonne

Le sommeil, château imprenable, coquette qui se refuse.

Les pensées traversières

D’un mur l’autre habitent là un moment, et volent sans brise

Vers l’envers de tout.

La petite fille blonde azurée d’un sourire,

croisée un instant dans une ville au sud

et qui me regarde comme si elle me savait

depuis plus longtemps que moi.

Le papillon dormant

Frémit dans son sommeil

Sillon dans l’air

Le murmure de l’eau juste sous ses ailes.

Si fragile qu’il en devient plus transparent qu’elle, dans sa blancheur malade.

Papillon, petite mariée aux manches trop larges, ou alors avec deux voiles.

 

Les noirceurs dont on a honte comme des rebuts.

Cailloux souillés des boues du fleuve

qu’on retrouve heurtant les rivages, blessant les pieds.

Elles battent sous les paupières qui se froissent en battements muets

Là-bas loin, dans mon ailleurs refuge, ils disent qu’on parpelège.

 

Vient au souffle un manque puissant, celui du relief, de la couleur.

Le fouet du sang absent

Les cris relégués, les aspérités bues.

Tout glisse alors sur cette eau de givre et la surface n’a plus de voix, plus d’appel.

Des cendres.

Elles palpitent dans les ténèbres.

Mais ce vol de papillon des cendres

C’est encore la vie.

 

L’araignée du mensonge, en ce monde

Tisse et se prend elle-même

Dans ses propres mailles

Commence alors l’auto-dévoration.

 

Mon âme papillon rougit la fleur d’éveil

 

Elle parpelège.

Poésie barbelée - Sans rime mais non sans raison

Joëlle Pétillot #Carnets de guerre de mon père

Les jours différents des autres -18- FIN

Joëlle Pétillot #Carnets de guerre de mon père
Les jours différents des autres -18- FIN

A Evreux enfin je fais hospitaliser le blessé qui aura bien gagné son repos, et me prépare à reprendre mon enquête lorsque nous nous apercevons que nos montres marquent deux heures passées et que nous avons faim. Nous décidons qu’un solide casse-croûte sera autant de pris sur l’ennemi et nous nous mettons en quête d’un bistrot accueillant. Mais il n’est pas, en principe, de bistrot accueillant à Evreux, ceux-ci étant interdits à la troupe justement à cette heure-ci.

Une arrière-boutique nous reçoit pourtant, grâce à l’astuce d’un troupier indigène (indigène d’Evreux) pour qui la patronne a paraît-il des bontés. Nos fonds mis en commun nous procurent un beefsteack frites, une omelette et une salade de tomates qui, arrosés d’un honnête casse-pattes nous donnent une nouvelle vision assez suave des choses d’ici-bas.

Après quoi le Bureau de la Place, pour rester dans la tradition, nous canalise sur le Quartier Panette, caserne de cavalerie qui se présente à nous dans toute son horreur. J’y reçois une semonce de la part d’une sorte d’adjudant qui n’admet pas que j’ignore le corps d’armée dont je fais partie. Au diable son Corps d’Armée pourvu que je retrouve mon corps. Après parlementations, on nous persuade de nous adresser à l’asile d’aliénés,. Très indiqué ma foi. Cependant, ne m’attendant pas à un sens quelconque de la fantaisie de la part d’un adjudant, j’en déduis que ce n’est pas une blague. Nous reprenons notre fidèle bull-dog et cinglons vers l’asile.

C’est, en dehors d’Evreux, une suite de longs bâtiments bordés de cours plantées d’arbres surplombant des parterres de gazon. On y accède par deux allées perpendiculaires bordées de platanes. Sous l’un d’eux sont installés devant une table des sous-officiers qui inscrivent les noms et matricules des isolés qu’on concentre là au fur et à mesure des arrivées. Nous nous faisons inscrire et attendons.

Un canal borde la route où nous allons nous laver, à la grande joie des folles qui nous regardent du haut de leur mur avec une sorte d’avidité lubrique. Une grosse fille danse, retroussant ses jupes. Une autre nous envoie des baisers. L’autre bâtiment est celui des hommes où d’autres crétins jouent « à chat » pendant qu’un autre s’absorbe dans une promenade hygiénique à cloche-pied.

La foule des isolés grossit toujours, encombrant les abords de l’asile. Une tristesse angoissante s’étale, coupée en deux par ce mur qui sépare deux groupes d’humains divagants : d’un côté les éperdus, de l’autre : les perdus.

Sur le soir, on nous ravitaille de pain et de singe et on nous envoie se promener ailleurs, les foules compactes étant mauvaises pour la santé.

Ainsi nous allons nous coucher sous-bois en attendant le lendemain.

9 juin : Laissant mes hommes sous-bois, je vais aux renseignements. On ne sait rien encore. Et maintenant je rencontre un copain tout fier d’avoir pris un bain froid dans un étang voisin. J’en ferais bien autant, ma foi, et me fais indiquer le chemin à suivre.

A peine y suis-je engagé que , le nez en l’air, et me prenant le pied dans une racine, je tombe, tombent aussi les torpilles. Une voie ferrée passe non loin de là, et je suis juste dans le champ d’expérience.

A chaque explosion, je fais un petit saut sur le ventre. Après coup, ça laisse une curieuse impression, mais sur le moment, c’est plutôt désagréable.

L’alerte passe, en même temps que mon envie de bain. En remontant au cantonnement je croise un type étrange. Entièrement recouvert de boue, le casque à la main, on dirait d’un somnambule. Complètement abruti par deux torpilles successives, il ne peut que dire : « j’ai été enterré et déterré, enterré et déterré… » Ce fakirisme forcé doit évidemment produire un certain effet.

Rien de cassé, sous nos arbres. Seuls manquent deux hommes que je retrouverai plus tard. Partis se baigner (c’est contagieux ce matin) le bombardement les a surpris dans l’eau où ils ont battu, du coup, des records de plongée.

….

Ici se terminent les carnets II et III, couverts de ta belle écriture et portant le tampon du stalag. Comme tout ce qui y est décrit s’est passé avant, je pense que des notes prises sur le vif ont été reproduites sur un support fourni pendant l’enfermement. Quelques courtes heures prises sur un temps de triste abondance.

Toi le solitaire, le rêveur, le distrait, toi l’artiste à l’œil ouvert toujours prêt à happer un peu de beauté prise au monde, je pense que les souffrances endurées ont dû se trouver grandies par la promiscuité. Laquelle a quand même fourni des amitiés définitives. Plus aucun de ceux que j’ai pu connaître ne sont de ce monde à présent. Parmi eux, mon parrain, Yves Cosson. Sa présence et la tienne, dans ce coin de ciel où vous devez vous en raconter de bien bonnes, me tiennent chaud.

J’avais lu ces manuscrits, plus petite, il y a longtemps. Mais tu étais encore là, et j’avais l’impression de mettre le nez dans quelque chose qui ne m’appartenait pas, sans doute parce que tu n’en parlais jamais.

J’ai dit ailleurs ce que j’ai ressenti en te lisant maintenant, en fixant tes mots hors ton écriture, hors ta main, mais droit depuis ta tête et ton cœur de jeune homme bahuté par un monde en loques du fait de la connerie humaine. C’était bon de te retrouver.

Ça va me manquer maintenant. Mais grâce à ton autre fille, je peux toujours retrouver ton écriture vraie, celle dont j’étais si fière quand tu me faisais un mot pour l’école.

Et puis, si loin que tu sois dans cet inconnu où tu demeures, je te porte comme on porte tout grand absent, en bandoulière discrète sur tout ce qui m’agit, me bouge, me fait vivante.

A tout de suite, papa.

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