Dévoreur du vivant
Dévoreur du vivant
fol amant qui couche
la terre sous son souffle
jongleur
meneur d’ogres
chanteur sans tessiture
une note, peut-être deux
détrousseur de feuillus
lanceur d’épines
plaqueur
vent voyou
danseur de corde
à linge,
souleveur
haut les jupes
sèche-larmes
casseur d’histoires
comme de parapluie…
Grande gueule de l’aube
crieur de nuit
- ne dormez pas bonnes gens ! -
que cherches tu
sinon rendre aux humains
la paix
juste en te taisant ?
Bien sûr
Bien sûr, l’enfance, les en-allés.
Bien sûr l’écho qui se décolore
Bien sûr le galop des aiguilles à coudre la pendule pour un temps de ravaude, veillons les déchirures, ourlons-les proprement.
Bien sûr la joie, l’enfant voulu, le ventre qui palpite, ne nous appartient plus.
Bien sûr le grenier dans la tête, sans escabeau.
La pluie sur la fenêtre, les marrons chauds en fond de poche, la neige verticale au silence bien droit.
La crème au café, Couperin qui tic-toc choque, bien sûr les rêves inaboutis ; mais ceux qui vous envoient une carte postale par jour et disent « Bien arrivés ».
Bien sûr la dorure du fugace, le jardin qui s’endort et parle dans son sommeil des mots de feuilles tombées, de virgules à plumes qui bondissent et disparaissent car une ombre, venue parmi les ombres, a la forme d’un chat. Aussi les branches tremblent-elles une seconde à grand bruit de gifle, et puis plus rien.
Bien sûr la brouette posée, celle du tour du monde, ce wagon poussée à mains nues par une mère-grand qui chante « En sortant de l’école, nous avons rencontré… ». Les absences-présences saupoudrées dans l’air, rires, regards, cris…
Bien sûr l’urgence.
Enfin, tendre, tête ennuagée, œil de lune, pieds au sol, tendre, grandir, chercher, demeurer, et retrouver toujours ce que je crains de perdre.
Petite chronique des grandes hontes - 32 - Les heures passent-elles, pastel…
L’automne avance à pas de géant, rouille les contours, le soleil pointe après une longue période de gadouille ; dans mon jardin, un trille ou deux fait ressembler Octobre à Mai, au moins à l’oreille.
Gazouillis, mousse, volute, sonate, colchiques.
Pourquoi faut-il qu’en un tel cortège de bienfaits je doive confier ici un accroc de plus, au sein de ce qui s’avère une vallée de larmes, à savoir ma vie ardente et douloureuse ?
Je me suis levée matin, avec la ferme intention d’écrire. Voilà longtemps (trop) que mes mots désertent : dressée telle une valkyrie dans cette journée débutante, me voilà armée, déterminée à faire face aux urticants potentiels –un exemple au hasard, le téléphone –qui prétendraient rompre ce temps trop rare de bénie solitude : pas un poil de ma pauvre personne qui ne soit prêt à attaquer la page blanche, cet Himalaya, cette étendue de neige qui fout les jetons, ce désert à dompter, on va voir, ah, ah, c’est qui la boss.
Cinq minutes plus tard, une envie me taraude : compteurs à zéro, l’atelier du jour sera aquarelle, non je n’ai pas de constance, oui je suis une girouette, oui ma détermination a tout de l’endive cuite, oui j’ignorerai les railleurs avec un calme hautain, parce que je les enquiquine, non je ne suis pas gentille.
Mais avant cela, une fois posé le matos, pinceaux peinture godet prêt à l’assaut du papier blanc, cet Himalya, cette étendu neigeuse etc… un besoin impérieux me taraude derechef.
Café.
Le joli moment, le bruit de la cafetière, le parfum, la tasse mousseuse, le léger brûlis sur la langue, le coup de fouet. C’est aussi le moment où je lance la musique signant l’humeur du jour. Là, c’est Chet Baker.
Je suis assise au chaud dans mon étole de jazz, j’ai mon sujet bien en tête, go.
Le temps passe avec douceur. L’oeuvrette, par contre…
Os.
Je regarde mes couleurs : check.
Mon godet, check.
Ma tasse, check.
D’où vient que le florilège attendu de bleu azuré, jaune esquissé, vert tendre, brun caramel, prend un fond délavé qui donne à l’ensemble un ton étrange ; genre peint au…crottin de cheval.
Je contemple avec une sourde angoisse ma boîte de couleurs. Les roses sont rose, les rouges sont rouge, les bleus sont bleu. L’angoisse devient de moins en moins sourde, se déploie en ricanant, j’exorcise, me dirige vers la cafetière pour me raviser à mi-chemin. Élevée par des gens ayant connu la guerre, et la faim, on m’a habituée à ne pas gâcher. Ma tasse n’est pas finie, j’avale d’un trait ce qui reste, tiédasse, sachant l’exultation prochaine avec un autre café, chaud, celui-ci.
Ceux qui me connaissent savent mon côté rationnel, froidement scientifique, voire cartésien. La conclusion de tout ceci s’impose : tout âââârtiste qui plonge son pinceau dans le café une fois sur deux, parce que la tasse est trop près du gobelet et qu’elle ne fait pas gaffe, voit le résultat picturâl sensiblement modifié.
Toute distraite buvant ENSUITE le café dans lequel le pinceau a trempé, fût-ce d’un geste aérien, peut alors constater en toute objectivité que le café n’est pas bon.
Hélas, trop tard.
Nausicaa
Je suis le palmier d’Ulysse.
Il y eut une envolée de tissu, de cheveux, de cris.
Mes servantes ont fait claquer leurs voiles, nefs aux pieds délicats happées par le chemin.
Me voici, seule verticale sur l’horizon de l’île.
Tu marchais vers moi couronné de rosée, si beau. Je goûtais du regard le sel de ta peau ; toi sans vêtement, moi droite et farouche, de loin la plus nue des deux. Tes mots de miel ont chargé mes veines de possibles, mon espace familier, cette plage d’enfance si souvent foulée, neuve soudain par la force de tes pas.
En moi, aucune peur.
Pourtant tu n’étais pas un dieu, et je le savais.
J’ignorais ton nom, alors.
De toi à moi, quel lien ?
Des mots, un arbre, ce jeune palmier auquel tu me dis ressembler, et tes larmes aux mots de l’aède, toi présent sous un autre nom, encombré de pleurs à ta propre histoire, héros humain si peu lui-même à force de ruses.
Elles sont ta marque ; mais toi, derrière ces mille tours, qui es-tu ?
Plus tard, après l’aveu, une fois dessillés les yeux de mes parents, quand tu as enfin dit que tu étais Ulysse, ce nom m’a vue noyée dans l’océan de l’imprononcé, la beauté de ce qui aurait pu être. Je sais qu’il y aura un bateau. Il tracera ton absence d’un sillage ailé, et le vent qui suivra fera de la mer un palimpseste.
Je serai dans l’étoffe qui danse, le grincement de la proue, le chant des membrures.
J’aurais voulu incarner Ithaque, l’île de ton sang, pour que tu t’allonges sur moi de part en part, que pas un centimètre de ta peau ne m’échappe. Pour que tu t’engouffres, t’abreuves, te gaves de ma propre essence. Tu es venu à moi dans ta nudité coiffée de soleil, tu m’as sculptée de paroles, fait sortir de la glaise fragile la femme que je serai et qui ne t’appartiendra pas.
Pourtant, je suis à toi ici et maintenant, dans cette salle de banquet où tu pleures au milieu des ors, et toi, roi bouseux d’une île de cinq rochers, trois cailloux et quelques chèvres, tu éclabousses tes hôtes, éclatants couronnés au milieu des richesses.
Je sais Calypso, je sais Circé.
Je ne sais pas Pénélope, ombre qui flamboie dans ton âme triste. Pour elle, les présents, les tissus précieux, les bijoux. Ces cadeaux, d’elle à moi, lien entre deux espoirs. Le mien porté par la mer, comme le voudrait, paraît-il, mon nom.
Celui qui viendra, si les dieux m’entendent, te ressemblera peut-être.
Je suis sur le rivage.
Le ciel depuis ton départ est d’une blondeur de sable.
J’attends.
Dernière pluie
Une rue banale poudrée de pluie
qui broie les joues
dépose sur le trottoir brûlé
une sclérose en flaques
une odeur de goudron
monte en petite fumée
s’ensuit un pressentiment d’automne
dans les voix resserrées
les corps penchés maladroits
moins d’espace entre eux et l’air
plus de vestes
la tristesse passe en talons plats
soudain, une petite auréolée d’indifférence
- la fraîcheur, ça change quoi ?
explose une mare nouvelle-née
de la dernière averse
en sautant à pieds chaussés de neufs
bien joints
la mère n’a pas le temps de crier
de toute façon
s’en fout la flotte
la rebelle aux joues rosies
ne lui en laisse pas le loisir.
Elle rit tellement fort…
La nuit d'Icare
La mer m'entraîne dans ses bras de vagues au creux de profondeurs ignorées d’elle-même.
Je suis tombé sans un cri, comme mes ailes. La chute était belle ; l’espace tient des villes, de hautes montagnes noyées de glaces, des ports ne sachant que le bleu.
De la cire amollie montait un parfum miellé venu d’une enfance que je n’ai pas eue.
Les nuages voyagent, marbres riants de transparence. Tombant droit comme une coupure j’ai croisé l’or du soleil et ses chevaux rapides, la pluie d’un presque hiver, l’aube et le crépuscule en un seul rayon, l’orage transmetteur d’impatience.
Brièveté qui m’aura donné à gaver mes yeux d’azur, ouvrir la bouche à vaste goulée pour avaler le froid de l’air et contenir la brûlure.
——————
Devenir salé. Je tombe et vois ma mort irisée sur des barres d’écume qui bientôt porteront mon nom. Survivance comme une autre, aimée des dieux.
Le tien, mon père, pour un labyrinthe. ..
Voir de si près la source du feu, pour une mort sans bûcher. Mon temps aura été trop court pour la guerre chère aux aèdes. Qu’importe ?
Le rêve d’envol s’est écrit d’abord en lente montée vers le ciel, immersion dans le ventre d’une promesse tenue. Ces ailes grossies de ta patience et de mes rêves, mon père.
Je sais tes pleurs, maintenant. Pardon.
Te désobéir, c’était marquer mon droit à l’incandescence.
Ne pas voler revient à compter l’espace. Il se doit d’être infini.
Je ne meurs pas, je m’ensommeille dans une gifle.