Dépose minute
On vient là déposer les minutes, pour les reprendre un peu plus tard ?
Un si joli mot composé pour dire l'arrêt, les passagers qu'on crache, le coffre ouvert dans la foulée, cette chirurgie voiturière propre aux départs, on enlève un organe à poignée, un à roulette, un avec des anses, vite, vite, et les adieux, brefs comme des aboiements.
Il ne faut pas que la dure déchirure dure.
Alors on referme sans recoudre.
On repart.
Non ce ne sont pas les minutes qu'on dépose, c'est la fin d'un temps donné pour un autre, celui sans les précieux qu'on lâche, happés par les gueules de tous les possibles, la gare-chienne, le loup-terminal.
Comme les mots sont banals, dans ces séparations là, au-revoir, merci, bon voyage, bisous à x, dites quand vous êtes arrivés.
Se séparer est pauvre en vocabulaire. Sauf à lire Racine : "Dans un mois, dans un an, comment souffrirons nous, seigneur/ que tant de mers me séparent de vous..."
Mais les alexandrins, gare de Lyon...
Dépose minute.
Panache
D’une branche à l’autre du chagrin
la rousseur s’éloigne
et fait comme une entaille
dans le dos.
Les larmes qui ne viennent pas,
rivière sèche
ou torrent caché ?
Il est joli, l’affût du deuil
bondit, s’accroche
retombe
va vite à disparaître...
remballe ta pomme de pin
suceur de moëlle
les os sont vides, comme la tête.
Deuil de malice
deuil de verre
deuil écureuil
vie mécanique
sourire compris.
C’est un combat, un vrai
ce silence qui serre les poignets
ce sans voix et son vide maudit
grignoteur de rires.
Mais je le gagnerai
je prendrai toutes les aiguilles
des pins du monde
pour me coudre un habit d’Arlequin
avec des pans de ciel.
Continent noir
Le beau cri noir de volupté… Une note profonde se survit en suavité tonique, violence dans la douceur qui fait les yeux fermés, au moins pour la première bouchée, juste à l’instant où l’on croque. Doublement du plaisir par celui de l’annonce : croquer c’est déjà fondre avant qu’il ne fonde lui-même tapissant le palais d’un Éden de velours.
Nul chagrin ne résiste à ses goûts pluriels, ses parfums nombreux comme les nuits de contes pour un lointain sultan. Ce grand sensuel aime à sauter aux hanches des dames sans leur accord, ne dédaigne pas pour autant l’aimable protubérance briochée mâle ; les plus mordus des deux côtés s’en moquent. Pour un gourmand, « régime » est un simple concept, et sa base se nomme procrastination. Surtout la pénitence excluant l’amour fou entre un noir délicat et- là c’est comme on veut- la fleur de sel, l’écorce d’orange, l’éclat de menthe, le zeste de citron, la meringue, etc…
Béni « et cætera », qui ouvre un océan de possibles.
Pourtant la nudité lui sied. Réduit (grandi ?) à sa simple saveur, soudard en épais carrés d’une affolante rusticité, il ouvre une large porte à un élan brut aussi revigorant qu’un feu de bois d’automne, un grog hurlant de rhum au premier frisson, un thé tartines après une bonne marche en montagne. Il peut séduire aussi quand il smokingue, nœud-pape, plastronne, aristocratise en tenue classieuse dans de ronflantes élaborations : Marquise, Forêt-Noire encerisée de copeaux, Reine de Saba… Ce n’est pas ainsi qu’il m’attire, mais j’admets qu’on puisse succomber, et tout adepte de ces finesses ne peut être fondamentalement mauvais.
Soyons gourmands. Mieux, soyons avides, insatiables, drogués à cet assassin de soie, victimes consentantes de ce tueur de satin, bref : accros à mort et heureux de l’être.
Parce que je vis avec ce type de toxico.
Désireuse de le garder longtemps, j’ai longtemps essayé avec une candeur qui m’honore de dissimuler les objets rectangulés convoités par le susdit. Las, il finissait toujours par mettre les dents dessus, et s’envoyait dans l’allégresse les deux-cents grammes de petite joie en alléguant avec une mauvaise foi limpide qu’il n’en restait « presque plus. » Mon incompréhension est grande au fait qu’il puisse ne « presque plus » rien rester d’une tablette inentamée, mais je ne suis pas bien fine, vous savez.
À court d’idées, vint un jour où je planquai les tablettes neuves dans … mes boîtes à chaussures.
Ça lui a pris un peu plus de temps que d’habitude, mais il les a trouvées
À côté de cet être hors normes, les clébards de la brigade des stups sont des pékinois demeurés.
Comme il m’a charmée ce jour-là. Il avait huit ans et demie, son œil azuré brillait de l’éclat du triomphe tandis qu’il brandissait, tel le flambeau de la liberté, 3 plaquettes de « Noir fleur de sel ».
Quand on enlève l’emballage carton, ô infime fébrilité qui fait partie du plaisir, et qu’on déchire le fourreau argenté dont le froissement sonne comme un prélude, qu’on casse les carrés qui rendent un petit bruit sec, le même que dans leur mort brutale entre les dents, sauf que c’est encore mieux quand c’est à l’intérieur, oui, quand ce petit « cra-ac » précède le goût, la lente glissade dans le gosier… que c’est bon.
C’est mon drogué qui a raison.
La liberté, c’est tout de noir vécu.
Méduse
Que disent les serpents de ta tête, Méduse
sur le noir de pierre
de tes yeux
le sang de blessures anciennes
tapit ta bouche
grotte-cri toujours ouverte
Ils crachent l’air et le déchirent
Méduse au visage souffrant
la haine en toi que rien n’apaise
palpite
se tord
hurle à la terre
ce besoin fou d’empierrer l’âme
du vivant
Que disent les serpents de ta tête, Méduse
au guerrier devant son reflet
contemplant son propre visage
pour t’éviter
avant le cri
juste avant
qui tranche de sa lame froide
ton cou ployant ?
Pégase,
jailli de ta coupure
le ciel frappé de son sabot
des rivières plein sa crinière
avance
dans un long frisson sur les eaux
le chant des hommes à plein naseaux
et son galop sur la nuit fière
résonne
mais les cheveux de ta colère
rougis au sang du bleu chaos
le reflet mouvant, le métal
ton cri couronné de serpents
il n’oublie rien,
les porte aux flancs,
le cheval aux ailes nocturnes,
père des sources,
ton enfant…
Que disent les serpents de ta tête, Méduse
que sifflent-ils au bleu chaos ?
ta beauté
car tu étais belle
l’affront d’un dieu
le sang
la honte
ta tête dans une main
qui les tient
en pressant des doigts
poissés de ton sang de mortelle
fuit le blanc galop qui s’éteint
vers la lumière
puis
plus rien.
Cache cache
Une ombre peintre
branche
sur le blanc
l'âme d'une seconde
vivant brouillon
tatoue l'immaculé qui bouge
mais tout disparaît vite
la lumière écrit
sur une sculpture de vent
et ils n'achèvent jamais rien.