Voix des rivières
Un bruit de page tournée
coupe le silence en deux
le vent plie le jardin
sur quel fil le poser après ?
Ici règne un calme zébré de moteurs.
Dans mes oreilles survivent
la voix des rivières
les hivers feutrés de neige
au-delà des vitres
flammes aux bruit d’amande
une voix grave
partie à jamais mais ce n’est pas triste
elle papillonne sur le mur
et avec douceur,
ressemble à son rire
quand toute chose ici
en cet instant
ressemble à la paix.
Arme-soeur
Éclusiers que nous sommes
toujours à régler les niveaux
remplir les parenthèses
faire jouer les rouages
l’amour viendra
pile à l’heure du plus tard
quelquefois
ligoter la lumière relève de la magie
mais ça marche quand on regarde l’eau.
Patience, mon arme-sœur,
tant d’attente pour un temps si court.
Revue des différents silences
La porte qu’on n’ouvre pas
la porte veille
tout verrou dehors
et rien ne surgira
de ces fantômes sans cris
ni des gouffres où ils vivent.
Debout portant
Mémoire canif
râcle le rauque du passé
brouillard d'oiseaux
repasse le film
dis viens
on se fait une toile émeri
Chagrin gibier têtu
impossible d'avoir sa peau
même debout portant
ne reste plus qu'à flotter
un égoïsme pâle
dans une forêt où aucun arbre
ne sait son nom
Une vie
c'est deux dates sur une pierre
fixées par un nom clou.
Nourredine Ben Bachir
Joëlle Pétillot : Le Bal des choses immobiles
Je voulais dire ici combien j'ai été ému de lire ce livre de Joëlle Pétillot paru aux éditions ALCYONE.
On attend tous qu'il y ait poésie dans le poème. La sincérité ne garantit pas toujours le résultat et nous avons à lutter contre nous-mêmes; toutes ces idées qui veulent faire du joli joli poétique, tous ces poncifs qui reviennent sans crier gare, sont autant de pièges.
Bien sûr il y a mille façons de faire entendre une voix, de toucher à l'universel que veut toute poésie, et pourtant tout n'est pas dans tout. Il y a parfois peu de poésie dans le poème.
Alors quelle joie d'en trouver aussi concentrée dans ce recueil.
J'ai rarement lu des textes aussi précis, dépouillés de mots inutiles et non de force. Ils accueillent les choses du monde et les êtres, sans aucune hiérarchie. Ils atteignent ce but que fixe à la poésie Marielle Macé d'élargir le parlement des vivants : le fils du linge, la pierre, les baisers loups, le presque obscur d'un nuage, l'architecture éclatée de la vague, la scène vivante des gares. On y entend douleur et vie battante et une conscience aiguë de notre éphémère destinée. Et si l'on pense parfois à Cadou et Woolf, c'est d'abord à une écriture originale à laquelle on est convié. Elle dit " Suspendue comme la robe à son fil du temps/Je ne sais pas ce qui me tient de ne plus me tenir/UN pied peut pleurer quand il porte un corps dont il ne veut pas/ le puits clapotant sous la terre où fleuriront nos impatiences/ le presqu'obscur d'un nuage passeur d'éclair".
Ces petites phrases, glanées comme des fruits dans le recueil, donnent une idée de l'unité d'atmosphère qui spécifie ces poèmes. Mais ceux-ci ont tous leur caractère singulier en prenant chacun un angle bien précis dans leur rencontre avec le monde. J'en ai prélevé de petits fragments car ils se font écho, mais chacun est profondément unique et doit se lire pour lui-même. La joie, au bout de ce chemin de lecture. Une plus grande conscience de soi et des autres. Plus que son sens , le poème vaut par ce qu'il nous fait.
Et ceux de Joëlle Pétillot sont donc à lire et à vivre. Merci de ce travail-là.
Petite chronique des grandes hontes -31- La vie rêvée d'Orange
Il y a peu, j’ai eu un souci de télécommande. Ma pudeur est grande, aussi ai-je attendu pour en parler que le temps lave un peu ma blessure.
Ce jour là, j’étais face à l’écran, appuyant sur un numéro de chaîne pour connaître l’état du monde, habituée que je suis à en prendre connaissance à une certaine heure pile café en main non je ne suis pas psychorigide.
J’appuie, rien ne se passe. J’appuie derechef, toujours rien. Je m’énerve, rien de même. J’éructe, rien itou. Bref, de fil en aiguille figure sur l’écran un message comme quoi c’est une erreur T32. Voilà qui fait avancer les choses à grands pas : à défaut de sa nature, connaître le nom d’une erreur permet de respirer un brin. Il paraît.
Je suis avec efficience le protocole indiqué sur l’écran, « éteindre-et-rallumer-la-box-éteindre-et rallumer-le-décodeur (entre nous, bien que n’étant pas prix Nobel de physique j’y avais pensé toute seule), j’applique ledit protocole à plusieurs reprises.
Rien.
Je me rends donc depuis l’ordinateur sur l’assistance Orange. Il faut rentrer un mot de passe dont je ne me souviens plus, et une adresse mail que mes doigts tremblants d’agacement écrivent mal. On me dit que le mail entré est incorrect, que le mot de passe est in-dis-pen-sable-bleu pour accéder à ma page personnelle à moi qui m’appartient. J’ai hyper envie d’être incorrecte aussi mais je me retiens, bien qu’étant seule chez moi. Le mal que ça fait l’éducation…
Après plusieurs tentatives, je parviens à franchir ce Rubicompte et me retrouve sur ma page devant la rubrique « Assistance ».
Liste de questions, il faut en cocher une pour dire ce qui ne va pas.
Je ne peux rien cocher parce que mon cas n’est pas évoqué. Ils ont tout anticipé, sauf les pannes de télécommande.
Comme c’est ballot.
J’avise dans un coin une rubrique « Exprimez-vous » dans laquelle je brode de mes doigts aériens « ma télécommande est en panne ».
Je précise que c’est un chat (prononcez Tchatte ») et qu’il m’est aussitôt répondu « Pouvez –vous reformuler ? ».
Je reformule, re-reformule, tandis qu’à la mesure de ma perplexité, ma température corporelle s’élève de quelques crans.
Je formule une tierce fois, précisant non sans fierté qu’il s’agit d’une erreur T32.
Réponse : « Je suis un jeune robot, voulez-vous parler à un humain ? »
Là … Posons-nous un instant, s’il vous plaît.
Je jure solennellement que je n’invente rien. C’est au mot près ce qu’affiche l’écran.
On vit une époque où le Grand Nulle Part de l’Autre côté de l’ordinateur s’incarne dans un dialogue de ce genre, dont je suis sûre que plein de gens le trouvent normal.
« Je suis un jeune robot, voulez-vous parler à un humain ? »
Donc :
- Parler à un humain est l’option de secours, l’élan du désespoir, le dernier recours, le truc à faire quand on a tout essayé ?
- Faut-il en déduire qu’il se trouve de vieux robots pour répondre aux gens ? Genre : « Je suis un robot gériatrique et j’ai déjà oublié la question » ?
Je mourais d’envie de répondre une incongruité, pour voir. Allez, je me fais plaisir :
- Je suis un jeune robot, voulez-vous parler à un humain ?
- Non, non, j’adore les jeunes robots
- Formulez votre demande
- On dîne un de ces soirs, D2R2 ?
- Veuillez reformuler votre demande.
- Quoi, c’est pas encore assez ? Je couche pas le premier soir.
- …
-…
Bien. Brisons là et reprenons.
À ma demande un humain a pris la suite, mais après qu’il fût exigé de moi de prouver que je n’étais pas un robot. En clair, il me fallait garantir, en cochant les bonnes images représentant un renard (donc soigneusement éviter la photo de gauche et celle du dessus figurant l’une un autobus et l’autre un tubercule), que j’étais bien… une humaine. Avec, à l’autre bout, un humain à qui on ne demandait pas l’ombre d’une preuve, à lui.
Un dialogue s’ensuivit :
- Bonjour (toujours cette foutue éducation), ma télécommande TV est en panne.
- Bonjour, ici Machin. Quel est votre problème ?
J’ai fait un copier-coller parce que je sentais la lassitude m’envahir. Je réitère dents serrées :
- Ma télécommande est en panne.
Les naseaux débordants de moutarde, j’écris dans la foulée inutile de me dire de tout éteindre et rallumer, je l’ai déjà fait gngngn fois.
S’écoule un temps. J’attends l’oracle.
Qui finit par venir :
- Nous allons vous envoyer une nouvelle télécommande. Vous la recevrez en fin de semaine.
Je suis d’humeur massacrante, mais taquine.
- Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est une panne T32 ?
Réponse :
- Vous recevrez une télécommande neuve en fin de semaine.
De nos jours, l’humain n’est pas une affaire, c’est moi qui vous le dis.
Quand mon héros est rentré de la guerre ( il travaille à l’hôpital et ce n’est pas tous les jours de la tarte ) il a pris la télécommande et de sa royale main il a changé les piles.
Elle marche à ravir.
C’est juste que je n’y ai pas pensé une seconde.
Peut-être qu’au fond, je suis un jeune robot ?