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La nuit en couleurs

Libre libellule

Joëlle Pétillot #poésimages

Le jour opéra, Alain HOAREAU

Joëlle Pétillot #Écrits d'écrits
Le jour opéra, Alain HOAREAU

Alain HOAREAU

Le jour opéra

Poème en cinq actes

Éditions L’Harmattan

 

Ce matin, j’ai relu.

J’aime à lire de la poésie le matin : il est vrai que ces lectures matutinales sont bien souvent des relectures, voire des lectures constantes : certaines ne quittent pas mon chevet, en bonness tutélaires. Je me refuse à les citer, (ça ferait étalage !) et ce n’est pas le sujet..

Mais en ce 24 janvier vingtvingt, comme il semble acté de le dire, à l’heure où l’aube arrive et que je vois le gel sur les branches, j’étais en compagnie d’Alain HOAREAU. Je ne l’ai pas (encore) rencontré mais le miracle du numérique fait qu’entre les Rendez-vous de Jeanne (Cf. la page de Jeanne Orient, que je ne saurais trop recommander et pas parce qu’elle me fait la joie de m’y accueillir) et quelques vidéos croisées ici et là, j’avais pu pressentir quelqu’un dont la sensibilité faisait souvent écho à la mienne. J’ai ouvert son livre avec la certitude de voir mon sentiment conforté, et la crainte, toujours un peu présente que, peut-être, il n’en fût rien.

Ce matin, j’ai marché dans dans l’ïle Saint Louis, d’autres quartiers de Paris dont ma connaissance de la ville faisait que je les voyais presque. Mais pas seulement ; et même, il s’en fallait de beaucoup.

Ce sont les mots, les mots qui me prenaient la main et me disaient « regarde ! ».

Le ciel se lit à l’envers : ce que les pas délivrent en joie.

De Montparnasse à Saint Germain, les cheminées bavardent sur les toits.

« Avez-vous vu passer le vent ? »

                              Nous avons vu le temps passer

« Et ses discours, tous envolés ? »

                              Au creux des mains il s’est posé

« C’était le temps où nous fumions »

                              C’était le temps où nous rêvions 

« Comme vous y allez ! »

                              Nous y allons

Soudain autre chose s’invite : la musique.

Car oui, c’est une poésie de musicien. Le rythme, le tempo, le battement, sont ceux d’une mélodie, douce-amère, mais aussi très gaie, avec des ruptures de ton.

C’était le chant, c’était saison, d’avril à mai le joli pont

Ruban de rythme rêve la rue, le ciel fenêtre redit le jour

On attendrait presqu’une comptine, une strophe en équilibre, sur deux temps, et puis :

Aux yeux qui nous regardent nous sommes rêves et de la rue le rythme des fenêtres

Ainsi se clôt ce poème là, dans une presque redite apparente tenant plutôt de la variation, car c’est bien d’une fugue qu’il s’agit, celle du ou des marcheurs, du ou des rêveurs. Ils partent, marchent, se souviennent, et les mots volent, trillent, s’allongent, comme sur une portée. Ne négligeons surtout pas, dans tout cela, le silence,-  dont le rôle en partition est majeur – souvent ici invoqué, évoqué, non sans sensualité d’ailleurs :

Les yeux vivent aussi des silences gourmands, vers aérien lourd seulement de promesses. A voir la femme aimé ôter un vêtement ?

À quelle nuit

Se veulent les silences

Questionnement douloureux, parole d’insomniaque, peut-être ? Mélodique d’allitération ailée, sept mots, et presque tout est dit. Félicitons nous toutefois, que le livre en compte beaucoup plus !

Il y aurait ainsi, à souligner tout ce remue, tangue, danse, ou se pose, bien des  passages à citer, et de fil en aiguille on verrait tout le livre.

Je me contenterai donc de dire cette introduction au tout dernier texte, clôturant l’ouvrage d’une injonction carminée la plus gracieuse qui soit :

Remets du rouge sur tes lèvres

Il y a encore des fleurs à faire trembler.  

 

.

 

Beauté du Diable (La chute)

Joëlle Pétillot #poésimages
Beauté du Diable (La chute)

L’idée de cette lumière tenue de Toi m’était insupportable. Ces dix mille étoiles à mon front par ton seul vouloir m’écorchaient comme une brûlure.  Je suis un ange qui sait la douleur.

Je tomberai avec un sifflement de serpent, avalé par la nuit qui est aussi ton œuvre. Ainsi entrerons-nous, ma rage et moi, dans les ténèbres.

À ton troupeau d’ailés louangeurs, il fallait quelqu’un qui s’oppose. J’ai dit « Me voici ». Ce n’est pas Ta volonté qui conduit ma révolte, c’est la mienne. Il y aura l’éternité de ma colère sur le monde, et les hommes auront peur.

En tombant, je deviens ton égal. Je deviens autre, l’Autre,  l’Adversaire. Ma délivrance de Toi ancrée dans l’amour des humains je descends.  Vois, je tombe déjà si profond que je leur deviens accessible ;  ils m’aimeront plus que Toi.

À ta paix béate je préfère le gouffre, riche de possibles, dense à traverser. Tête en bas, voici la joie à perdre l’étoile, les ailes, la beauté. Plus rien que ma nudité d’ange, l’air froid, la paix réelle à être plus loin de Toi chaque seconde, et, à chacune d’elle, la joie.

Dépoussiéré, enfin. Plus que le cœur du cœur de ce que je suis, plus de marque aux épaules, le front lisse de toute pierre. Plus rien de Toi, et autant de pouvoir.

À toi jamais rassasié de soumission, j’apporte enfin la rupture dans le fleuve Éternité. Je deviens Ton évènement. Ton cas.  Au moins, j’aurai choisi. Celui qui viendra un jour ne choisira rien et mourra sur une croix juste parce que Tu le veux. Quel père demanderait cela ? Et pourquoi ? Après son supplice, toi et moi savons que rien ne changera.

Les humains sont fragiles, irritants, prévisibles, geignards, mais ce sont de merveilleux vivants. Je serai une silhouette, je le suis déjà, l’ange que je demeure ne fera que respirer, mais ils se réchaufferont à ce souffle-là. J’incarnerai Ton abandon, comme le noir n’est pas la couleur mais son absence.

Je serai là, comme je l’ai toujours été, d’une façon ou d ‘une autre, ce qui fait de moi Ton pareil.

Et tu te tairas. Tu ne sais rien faire d’autre.

L'or sur le verre

Joëlle Pétillot #poésimages

Petite chronique des grandes hontes- 30- Mytho jolie

Joëlle Pétillot #Petite chronique des grandes hontes
Petite chronique des grandes hontes- 30- Mytho jolie

J’étais dans la trentecinquaine, soit il y a vingt-cinq minutes.

J’avais une fille, que j’ai toujours, ce dont je me félicite chaque matin. Troisième d’une fratrie composée de deux frères ainés. Ce qui l’a rendue résistante, guerrière, batailleuse, obstinée, énergique, frontale, appelant un chat un chat, (forte propension à dire « cul » plutôt que « derrière »), angoissée pour les siens, courageuse, attachante, indispensable à mon bien-être autant que ses frères, bref, devenue en tout l’adulte que l’enfant et l’adolescente promettaient, et croyez-moi sur parole, ça vaut le coup.

Mais… Oooh, je la refais.

« Devenue EN TOUT etc… ».

A un détail près. 

A cinq ans, pour des raisons inexpliquées de la mère que je demeure, elle était radicalement mytho. Oui, vous avez bien lu : M-Y-T-H-O.

Pas menteuse, oh ça non. Le genre honnête, reconnaissant ses fautes vénielles (oui, j’a pris ton jour à lèvres) et vivant ses sentiments en toute authenticité ( Je suis amoureuse d’Alexis, on s’engrasse dans la bouche et on va se marier).

Or, elle inventait des trucs pas possibles avec un aplomb papal, sans broncher une oreille. Cinq ans, je le rappelle. Ma propre mère, qu’elle enchantait, me disait avec son acuité coutumière « elle fait ça parce que la réalité ne lui plaît pas. J’en connais une autre… »  Ce à quoi j’enchaînais par un « et toi, ton arthrose ? »

Parce que, tout de même,  me mettre dans ce panier de turpitudes, moi, qui n’avais jamais fait état que d’une amie imaginaire alignant les conneries à ma place pendant deux petites années de ma prime enfance... C’est pas mentir, ça.

Quoi ?

Revenons-en à la petite.

Fin d’après-midi, nous rentrons, moi du labeur, elle de l’école. Je commence sans enthousiasme à préparer mes gamelles pour le repas vespéral, elle me dit qu’elle ne mange pas à la maison. J’accuse le coup, elle réitère son absence annoncée en me disant qu’elle va manger chez Mimi.

Précision : « chez Mimi » n’était pas une gargote, mais l’appartement du dessus où créchait une qui cumulait les casquettes. Amie, voisine, marraine. Collègue aussi, puisque logée comme moi dans un appartement dit "de fonction".  Ma petite adorait y aller et l’intéressée avait maintes fois joué les filleules-sitters.

Étonnée qu' elle ne m'ait pas prévenue et flairant, je l’avoue, comme un parfum d’arnaque, je dis à la môme que je vais appeler Mimi, pour voir.  

Impavide, l'enfant ne cille pas et me regarde droit dans les yeux. J’avoue avoir vacillé, mais j’ai maintenu le cap. Mimi décroche, entend ma requête, et me répond du ton pressé qu’elle a quand on l’appelle et qu’elle épluche des trucs ou s’occupe de machins, « Non, il n’a jamais été question de ça, je ne l’ai pas vue de la journée et de toute façon pas ce soirclic. »

Quand on l'interrompt dans une tâche, Mimi raccroche très vite.

Je regarde donc ma fille, qui me fixe avec une sérénité absolue. L’a même pas poussé ne serait-ce que le soupir étouffé du bipède pris la main dans le sac. D’ailleurs, quelle main ? Dans quel sac ?

Quand je lui demande pourquoi elle me raconte des chars pareils, elle me répond : « Pour faire comme je veux ».

OK.

Plus inquiétant :

Fête dans les jardins de l’hôpital où je loge et travaille. Les espaces sont vastes, ma fille y est chez elle, je la laisse vaquer. Puis je croise une collègue qui pleure encore de rire et me narre :

« J’ai dit à ta gamine, mais je te connais toi, tu habites ici, et elle m’a répondu oui, et je lui ai dit ils sont là tes parents, et alors elle m’a dit "ils sont morts".

Ma copine poursuit en précisant qu'elle se retenait à quinze pour ne pas rigoler :  "je lui ai demandé comment elle faisait pour manger, et elle m’a dit "je sais pas faire alors je mange tout le temps froid."

J’ai repensé à ma propre mère « La réalité ne lui plaît pas et elle l’arrange »…

Super.

 Quelques semaines plus tard, je l’emmène à l’école. En entrant dans la cour une petite fille vient vers moi et me dit « Bonjour madame, c’est vrai que vous êtes la nounou de Manu ? (Ma greffe se nomme Manuelle).

Je réponds par la négative, précise que je suis sa mère en adressant un regard au fruit de mes entrailles qui comme à son ordinaire ne bronche pas. La copine rajoute : « elle nous a dit que vous étiez morte et que vous étiez sa nounou. »

Ma fille hausse les épaules et dit « c’était pour rire ».

Bon. L’humour à cinq ans…

Enfin, la raison ne m’en revient pas, mais je dois rencontrer sa maîtresse, affectueusement surnommée « Tête de mort ».  Pour la première fois que je la vois de très près, je reconnais que ce visage creux, ces yeux enfoncés, ces cheveux très courts, ces dents un peu chevalines, cette pâleur… mais bon, elle fait un métier difficile.

Et de fait, elle est charmante, cette femme. Aux petits soins. « Asseyez-vous, café, vous allez bien pas trop fatiguée ? » Mon attention est éveillée par les siennes, qui ne relèvent visiblement pas de la simple courtoisie. Elle insiste, s’inquiète, c’est tout juste si elle ne me tapote pas l’épaule. Or je fais du sport, j’abats du boulot en chaîne, je m'occupe de mes trois gamins avec une patate d’enfer. Je finis par lui demander le pourquoi de ces soins-soins, certes agréables, mais un poil excessifs. Elle me dit que « la petite l’a mise au courant, pour le bébé ». J’étais donc censée en attendre un quatrième.

Quand j’ai dit à TDM qu’il n’en n’était rien, elle m’a dit « aussi, je ne vous trouvais pas bien grosse… ». J’étais censée être enceinte d’au moins douze mois, sans doute.

Déjà bien beau qu’elle n’ait pas dit que c’était des jumeaux.

En retournant au boulot, je me suis dit qu’il y avait un mieux.

Au moins, je ne mourais plus.

- Allo, maman ?

 

Le silex des jours, Philippe Colmant

Joëlle Pétillot #Écrits d'écrits
Le silex des jours, Philippe Colmant

Lorsqu’il nous est donné de lire de la poésie, qui s’invite ? Thématiquement s’entend.

En vrac : le temps, la mer, la mort, les arbres, le ciel, les oiseaux. Sans oublier la pierre, les chemins creux, les morts, les vivants, le passé, l’enfance, l’humanité, l’amour, heureux ou non.

Dans LE SILEX DES JOURS, de Philippe COLMANT, tout le monde est là.

Et l’on marche dans les pas de l’auteur comme à un rendez-vous avec du familier, du proche, du ressemblant.

Et alors ?

Tout cela serait rebattu, mâché cent fois et cent fois lu s’il n’y avait la grâce de mots limpides, dont la clarté porteuse fait qu’on se roule dedans, parce que c’est lui, parce que c’est nous, lecteurs.

On vit. Ou c’est tout comme

Il n’y a que du vent

Dans les veines du temps.

Le sang, c’est pour les hommes

Mais voilà un autre invité, le doute :

Je me suis tu souvent

Ne sachant trop que dire

Qui ne fût déjà dit

Le silence est parfois

Un instinct de survie…

Au-delà de ces mots simples (c’est un compliment) riches de leur beauté dans la ronde qu’ils mènent ensemble se trouve une force d’évocation telle qu’on ne lit plus : on appareille. Mot employé à dessein car la mer est très présente tout au long de ces JOURS. Où sont convoqués tour à tour la perfection possible dans un monde offert à qui sait regarder, le regret de ce qui s’enfuit, la peur parfois , de ce qui reste, et une dureté profonde, sans pathos, dite avec une économie qui la rend d’autant plus coupante.

Père te souviens–tu

De ces graves et longs

Silences charbonneux

De l’enfance précaire

Quand le soir s’appuyait

Sur les ruines du jour

Avec ces hauts terrils

Et ce ciel d’occasion

Tout mité de misère ?

 

Quoi de plus parlant que ce « ciel d’occasion » quand une vie de travail fait qu’on ne s’appartient plus ?

Ce SILEX fut emporté dans mes bagages lors de mon dernier séjour au japon.

Anecdote pour éclairer ce qui va suivre : j’ai vécu, il y a longtemps, un moment particulier sur un bateau qui m’emportait d’une Île grecque à l’autre, en lisant l’Odyssée.  (Je passe mon temps à lire l’Odyssée en plus des lectures en cours.) Si j’évoque cela, c’est qu’en levant le nez de mon livre où revenait l’image de « la mer couleur de vin » j’ai vu au même instant cet océan violet, pourpré par le soleil, et enfin compris dans ma chair ce que les anciens voulaient dire. Fusion.

Cela s’est reproduit dans mon lointain levant, face à un jardin gonflé de brise et de paix, en fin d’après-midi.

Je lisais alors ceci :

Le fruit de l’ombre est mûr

Le soleil a percé

L’étamine du jour

Quelques gouttes de miel

Tombent sur mon visage.

De quel voyage suis-je ? 

L’accord parfait au dehors, au-dedans.

Je n’ose imaginer dire à Philippe COLMANT « Merci pour ce moment », la phrase est trop dévoyée depuis l’amertume d’une ex-favorite républicaine. Mais j’ai eu un infini plaisir à lire son livre, auquel je reviens. La fidélité à un ouvrage est toujours bon signe. Je l’ai posé sur mon étagère poétique (cette manie du classement…) avec un prudent : « on se reverra ». C’est que c’est vivant, un livre.

Et celui-ci l’est absolument.

 

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