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Poésimages et grandes hontes, ensemble mélancomique et d'humeurs plurielles.
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Petite chronique des grandes hontes- 25- Les zanzans
Enfant, longtemps je me suis posée des questions, à défaut de me coucher de bonne heure.
Était-ce lié à mon oreille interne ? Une distraction innée ? Une inaptitude ? Toujours est-il que certains mots me revenaient déformés avec facétie, comme si ma propre langue jouait à cache-cache avec mes nerfs d'enfants.
Ainsi pour les zanzans.
Quelle tête, quel physique, quel aspects pouvaient-ils avoir ? Quelle forme pouvaient bien emprunter ces choses dont je ne cernais pas la nature sans une extrême difficulté ? Humains , animaux ? Appartenaient-ils au règne végétal ? Marchaient-ils ? Se nourrissaient-ils ? Si oui, de quoi ?
Seule certitude : ils n'étaient pas commodes.
À l'origine de plein de trucs tout aussi aléatoires qu'eux-mêmes, l'une de mes grand-tantes les évoquait souvent entre la poire et le fromage, quand la difficulté pour sa main ridée à tenir le couteau et couper l'un se doublait de l'incapacité à manger l'autre, rapport à un dentier flottant qu'elle rajustait dans un joyeux cliquetis à peu près deux cent mille fois par jour.
Lorsqu'il lui fallait quitter la table, elle s'appuyait sur le bord en grimaçant, se haussait, déployait un art du gémir qui confinait à la symphonie, pour finir par invoquer ces divinités omniprésentes, ces sans-visages qui lui pourrissaient la vie et en faisaient autant, dans leur invisibilité, avec la mienne.
A quoi pouvaient-ils servir, foutredieu ?
Je les avais cherchés partout, sous la table (rapport au lever post-prandial) par terre, (la lenteur de la marche) sur la tête aussi, du fait de cheveux d'un blanc neigeux qu'à mon immense surprise je n'avais pas vus sur son crâne, dans un cliché jauni où une enfant blonde munie d'un cerceau posait près d'une cheminée. L'enfant c'était elle, bien sûr. Ce qui m'avait fait prendre conscience qu'elle avait du naître droite et probablement sans dentier ; une révélation pour moi, alors âgée de cinq ans et immortelle.
" J'ai été grise puis blanche très tôt", me dit-elle en refermant l'album. Les zanzans sont la cause.
Donc, les doigts tordus, les aaaaaïiïïheuuu en se levant, les cheveux où on voyait le crâne à travers, avec un reflet bleu... ils étaient la cause de tout ?
Après, j'ai renoncé à savoir de quoi ils avaient l'air. Mais je me suis demandée longtemps pourquoi on les tuait pas.
Pointe de la Torche
Les vagues s’accumulent, se pressent comme une foule, se piétinent, s’assomment, et viennent mourir en fruits éclatés sur un bord dont le sable gronde. La mer pressée de couleurs inconnues combat et hurle un chant déchiré de sanglots qui dévastent l’écume comme autant de coupures.
C’est une guerre, ici, le vent la conduit en flamberge, l’eau ondule et se débat, porte haut sa rage vers un ciel sans compassion dont le plat est comme une injure.
La mer dragon ocre et jaloux, affamé de défaites, avale tout et recrache, siffle et rote, dégueule ses galets, frappe à l’aveugle tout ce qui peut se frapper. Le vent l’aide, la porte, la déporte, dépose sur les lèvres du prudent marcheur avançant pied à pied une multitude d’aiguilles froides, une morsure de couteau.
La tempête seule parle à travers la terre et l’eau, lèche d’un rire fou les silhouettes courbées qui s’essayent à vivre quand même.
Au milieu de la dévastation, la brève survivance, l’arc-en-ciel.
Plus rien ne meurt, surtout pas la colère.