Rêve par rêve
Se taise enfin la terre sous le pied nu
La brûlure du regard blessé de rayons durs
L'orage écartelé
Quand on voudrait l'épure
L'ange hurleur
posé sur les seuils endormis
Les serpents de la peur aux charges des fusils
Se taisent enfin les mille morts des arbres
Dans ces forêts de sève-sang
Où les troncs empilés verdissent pour l'honneur
Se taise la douleur des aimés
Qui fait de nous des sacs
Impropres à consoler
Se taise cette vie-là dévoratrice
Et que la paix
Brille dans la lenteur, au bout des doigts
Rêve par rêve
Qu'elle prenne dans les sentiers
Toute la place.
Lettre au jeune homme aux mots de verre
Les mots de verre font des brisures
Leur transparence donne à comprendre
Ne rend pas laide ta maison
Parfois ils tremblent dans ta bouche
Mais sans la remplir de boue
Jamais.
« Je souffre encore » dit le jeune homme aux mots de verre.
Mais quelque chose dans ses yeux se lit
Qui n’appartient pas à l’ombre
Les mots de verre se brisent aussi sur la jetée de la colère.
Plus de plage.
Le sable brûle.
Dans chaque fragment, les chiens hurlent.
Mais toujours, toujours reviennent
Sortant de lui comme des gosses
Trop longtemps enfermés
Un papillon de mer
Aux ailes bleu profond
Un sable de cristal
Les silences du monde, les musiques qu’il aime
Le papillon de mer
Est fait de tout cela
Et sort en battant large, traînant derrière lui
Une flopée d’anges rieurs
Libérés
Qui réparent les mots de verre
Au fil d’un chant de ciel.
Il dit :
"Laissez en paix ce cœur immense
D’où naissent seuls les chemins droits."
Peinture de Rudy Meskine.
Vienne la nuit
Vienne la nuit et l’être qui tremble au milieu, s’il nous ressemble, doit lutter. Morbide volupté que le sommeil du monde, à ne pas y plonger, à relever du vertical, à piétiner les paupières closes avec un relief inquiétant.
Vienne la nuit et je répète ma mort, vienne la nuit et d’autres me manquent, vienne la nuit et j’ai peur du néant, vienne la nuit et je n’aurai pas assez d’elle pour haïr, ou aimer trop.
Vienne la nuit et quelqu’un entre dans ma peau avec les dents. Ce serpent nourri de mes lambeaux hurle avec ma voix ; l’enfant que je reste appelle dans le noir quelqu’un qui ne vient pas, jamais.
Vienne la nuit et le vent bascule, audible de ma maison fermée où les verrous ne protègent pas des monstres. Mon cerveau coasse et rampe parce qu’en dépit des lumières, l’obscurité veille et absorbe.
Le sang de la nuit bat à mes oreilles, se répand sur le sol, encombre l’âme avec une joie mauvaise, va gratter, fouiner, creuser pour faire remonter la boue, toutes les boues cachées dans le paraître du jour. Ainsi ne serait-on jamais. L’humain-humus, de jour, paraît.
Ne pas rater les coutures de l’habit lumineux.
Bien rentrer dedans ce qui ronge : le verdâtre, la saumure.
Ainsi va le sang de la nuit, qui coule et pue.
Vienne la nuit et les ennemis se dressent, où que l’on soit. Le plus grand voyageur, le pire des déracinés, l’être qui danse, le nomade, trimbale toujours le pire des ancrages : lui-même.
Vienne la nuit qui détricote le paradis au rasoir. Avec ce bruit à l’intérieur, crissant murmure d’une page qu’on déchire, lourde de mots absents dans une langue qui dépasse.
Vienne la nuit et le miroir est difformant. Surtout, faire mieux que ne pas se regarder dedans : ne pas s’y voir. S’effacer, disparaître, tomber.
Trouver le bon puits, et sauter.
Pourtant…
Vienne la nuit et l’aube nous appartient comme une attente.
http://www.joelle-petillot-la-nuit-en-couleurs.com/2017/10/ce-nom.html
Il y aurait un lac délivré des cris Les chants ne l'atteignent jamais Dont la profondeur est vertige Un lac froid sous la peau des hommes Une tourbe où les pas s'impriment Un lac dont la surface attire les reflets L'oiseau traqué La feuille endormie d'automne...
http://www.joelle-petillot-la-nuit-en-couleurs.com/2017/10/ce-nom.html
Ce nom