Les jours différents des autres -7- et dernier feuillet
25 novembre 39
Je suis sortant. Un dernier tour à la cantine avant de partir pour la récolte des croissants à l’usage des copains qui ne peuvent se lever. Une poignée de mains à chacun et je pars d’un pied guilleret à la recherche du bureau qui me livrera le papier blanc grâce auquel je passerai DIX jours chez moi.
Un vent favorable soufflant dans mes éperons me pousse vers un malheureux copain qui croyant sortir le jour même avait convoqué ses parents. Hélas (pour lui) le pauvre gars n’a pas encore sa perme et par bonheur (pour moi) les parents en question sont venus en auto.
Je fais ainsi le voyage de Compiègne à Paris en traction avant et en vitesse ; le Monsieur qui conduit est le père du malchanceux qui m’a cédé sa place et la jeune femme qui accompagne le Monsieur est la femme du fils du Monsieur ; charmantes gens avec lesquels je me trouve en pays de connaissance puisque les parents de la dame habitent à 2 kms de Marcigny, but de mon voyage.
On me dépose à la mairie du XVIII ème et je gravis cette bonne vieille rue du Mont-Cenis le paquetage sur le dos, tel un biffin.
Arrivée triomphale avenue Lamarck. Mon bras encore roide et lourd me rend intéressant. Juste le temps de manger, d’embrasser tout le monde, et je repars. ..
Gare de Lyon, rapide de Moulins… Moulins.
Je m’insinue subrepticement dans « le car dijonnais » plein à craquer d’affectés spéciaux des patelins environnants en permission du dimanche. Hé mais ! Ils sont jeunes, ces gars-là… Mystère et fascicules. Je fais le voyage debout préservant tant bien que mal mon bras en équerre des chocs divers, accroché de l’autre à une saillie du plafond, la tête un peu penchée à cause de ces derniers, que les règles de l’aérodynamique forcent à être bas. Fatigant, mais qu’importe ! Au bout du voyage, il y a DIX JOURS CHEZ MOI.
Nous arrivons sur « le cours ». La nuit m’absorbe, une fois déplié hors de cette coque qui m’a tout de même offert, sur le tard, un siège. Et je me retrouve dans les bras de Vonny. Michou est là aussi, il a les mêmes joues que sa mère, rondes et fraîches…
Comment va Françoise, Maman, Tantine ? … Pendant que nous parlons dans le noir des rues muettes, ma maison est venue vers nous.
Lumière. Je cligne des yeux. Ma petite Maman pousse un cri déçu ; c’est vrai, j’ai de la moustache. Je ris, mais là-bas, sur les bras de Mémé (elle a quitté son Montmartre pour venir ici rejoindre sa petite-fille, ma femme) un tout petit bout de fille fait la moue. Ma Françoise a peur du monsieur harnaché de cuir qui est pourtant son père, mais qui a une grosse voix. Je la séduis cependant habilement et nous devenons vite bons amis. Je crois qu’elle ne tardera pas à pisser sur mon pantalon comme il y a quatre ans son frère. C’était, il faut bien le dire, un virtuose dans le genre.
Je suis maintenant le coq en pâte.
C’est rien bon d’être chez soi.
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Ici se terminent ces feuillets si minces qu’ils portent bien leur nom : papier-pelure. La dactylographie est transparente par endroit, d’où l’importance pour moi de fixer tes mots pour qu’ils ne risquent plus l’effacement.
De ce qui a suivi, qu’est-ce que je sais ?
Qu’à peine reparti après cette parenthèse heureuse, tu t’es retrouvé en villégiature au stalag XI b, Fallingbostel, d’où on t’a volé quatre années de vie d’homme et l’enfance de tes deux premiers.
Tu en es revenu vivant, mais changé en profondeur d’une façon que personne sans doute n’a pu mesurer, à part la mère de tes enfants qui n’en a jamais fait état. Cela d’ailleurs vous appartenait.
Un troisième enfant, celui du retour, a vu le jour en toute fin de guerre. C’est celui de nous quatre qui te ressemble le plus.
Et puis je suis venue beaucoup plus tard, sans que vous le vouliez, ni maman ni toi. Enfant non désirée, j’ai reçu de vous deux comme de mes trois aînés un amour infini. Ces mots tiennent à eux seuls tout ce qui m’a construite.
Je ne t’ai connu qu’âgé, ton beau visage, beau jusqu’au bout, mangé d’une fine barbe grise, ta silhouette longiligne et racée bougeant avec élégance. C’est d’ailleurs ce dernier mot qui te définit le plus.
Elégant de corps et d’âme.
J’ai aimé te suivre ici, où j’ai trouvé dans cet éclairage sur ce passé inconnu de moi une sorte de pont sur l’invisible, un écho de ta voix, ton humour, ton œil si tendre d’artiste sur les hommes, la nature, la beauté des femmes sans que l’amour pour la tienne en frémisse d’un pouce. De ce fil tendu entre ta jeunesse et le début de ma maturité a surgi un sentiment d’étrangeté, certes, mais aussi une inattendue sérénité : sans doute parce que ce dialogue muet –puisqu’écrit- a donné au chagrin de petites vacances. Voilà plus de trente ans que je t’ai perdu : il était temps.
Cinq, six feuilles toutes fines, un bout de ta vie écrite après coup, ont suffi à remettre ma main dans la tienne, ma main qui restera toujours petite dans ta paume large aux longs doigts agiles que j’ai vus si souvent fermés autour d’un crayon, d’un pinceau, d’un stylo. Autour de n’importe quoi permettant de dessiner.
Cinq, six feuilles, et nos vies mêlées une fois de plus, au-delà de l’absence et du mal qu’elle peut faire, encore maintenant.
Toi, si silencieux que lorsqu’il m’arrivait de rentrer dans ton atelier, avec respect car personne ne te dérangeait quand tu travaillais, et tu travaillais tout le temps, je rentrais en demandant machinalement :
« T’es là, papa ? »
Il me suffit de voir mes enfants, ce premier fils qui porte ton prénom, le second qui te ressemble y compris dans tes gestes –alors qu’il ne t’a pas connu- ma fille qui porte ton autre prénom (oui, oui, le premier qui me parle Œdipe et Freud blabla, j’assume, fin du débat) …
Dans ma maison , tes dessins sur les murs.
La pluie sur les vitres et j’entends aussitôt ta voix « m’aurait étonné qu’on n’ait pas la flotte… » Et je souris.
De regarder mes petits-enfants et t’imaginer crayon en main, les croquant même dans le mouvement (jamais su comment tu faisais).
Alors, oui.
T’es là, papa.
Les jours différents des autres- 6
Tu viens de quitter l'hospice de Guise, laissant derrière toi un motard intransportable... Je ne redirai plus ici combien il est émouvant pour moi de poser mes pas dans les tiens. Ta jeunesse d'homme déjà mari et père aurait du se passer autrement. Inconnu que je devine, tu te ressembles déjà, dans ce qui va suivre, par la tendresse de ton œil d'artiste sur les femmes, les hommes, l'enfance restée intacte parce qu'une chemise de cow-boy...Je n'en dis pas plus. Mais toi qui as dessiné tant de westerns,... Et ton enfance, la vraie, en indochine, qui se repointe comme un appel... Non, décidément, je ne crois pas au hasard.
Illustration: un de tes dessins de stalag
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Le 16 novembre au matin nous le laissons (Le motard, cf. Volet précédent) avec ses jambes écartées dans ses gouttières, son poids de neuf kilos tirant sur son tibia gauche, sa main bandée et son bon sourire de paysan résigné.
On nous enfourne dans une micheline, une moitié assise, une moitié couchée, et nous nous retrouvons le soir aux environs de Compiègne à l’hôpital de Royallieu.
C’est une ancienne caserne d’aérostiers, paraît-il. Des baraques en quantité, mais c’est tout de même plus gai que l’ancienne crèmerie. Nombreux personnel mixte. Infirmières charmantes, ce qui ne gâte rien, et au babil moins strict que les sœurs de l’Hospice. Infirmiers débrouillards et sympathiques (du moins en ce qui concerne notre section ) et plus agréable que les (… blanc) …de l’ancienne maison.
A l’arrivée on m’a canalisé sur la section chirurgie. Je passe par les mains expertes de Mademoiselle Pitissier, qui refait mon pansement et troque ma chemise sale contre une autre, magnifique, genre cow-boy (je ne suis pas peu fier), et j’atterris dans une chambrée où s’alignent des lits mécaniques qui vous ont un petit air de pergolas on ne peut plus euphorique.
Hasard délicat, cette chambre, autrefois occupée par des locataires annamites est orné de dragons polychromes qui ont bercé mon enfance.
On me passe à la Radio. Tout va bien, juste un petit quelque chose dans le coude mais on ne me dit pas quoi, ce qui me rassure tout de suite.
L’attraction quotidienne, c’est la visite. Le Major traîne dans son sillage doctoral une foule de satellites qui s’agglutinent autour des cas intéressants. J’en suis un – à cause de mon alliance coincée dans mon médius-saucisson. Le docteur me l’extirpe avec une petite ficelle et une grande habileté, assisté de Madame de la Rochefoucauld. C’est une charmante jeune femme qui parmi les satellites est un petit soleil qui en entraîne d’autres, de sexe opposé.
J’ai aussi un hématome fort joli par son ampleur ; ça tourne maintenant au rouge brun.
Le clou de la visite c’est l’examen du « ch’timi » qui a une « gambe » plus courre que l’autre, de naissance, et qu’on pose sur un gros bouquin pour retrouver la verticale.
Après l’avoir assommé de termes anatomiques qui ne laissent pas de l’inquiéter un tantinet, la séance se termine par un « à revoir » noté par une indifférente script-girl, qui replonge le gars dans une nouvelle expectative perplexe sur le sort qui l’attend.
L’autre événement, c’est la séance de massage du Joyeux d’en face. Il éprouve un plaisir chaque jour renouvelé à se faire peloter la jambe jusqu’au point crucial, dirait Paris-Soir, par une masseuse accorte, qui tout en pratiquant son art admire les tatouages dont il est couvert.
Parfois, notre infirmier nous improvise un petit concert d’harmonica, couronnant d’une note artistique ses dons de parisien débrouillard. C’est un bon pote, jovial et réconfortant.
Au bout de cinq jours plutôt longuets, je reçois enfin le courrier qui m’a dépisté à travers un compliqué réseau de secteurs postaux allant du 135 au 8106 via l’Hospice de Guise. Cinq jours pendant lesquels j’ai revécu les premiers jours de Septembre où l’on guettait le vaguemestre qui n’avait jamais rien, que quelques pauvres lettres pour d’autres. .. L’arrivée de Granger, cachant sous sa faconde de camelot son dépit de n’avoir rien à donner, rassemblait tous les jours un essaim de gars dont l’espoir vite déçu se traduisait par des soliloques émaillés de jurons rageurs…Un jour, tout de même une première enveloppe arriva…Déchirée fiévreusement, elle apportait des encouragements inquiets et un réconfort tardif et usé qui faisait attendre la suivante avec plus d’impatience encore…
Sanguine, fragments à l'encre
Sur des images de Pascal Livani.
Les jours différents des autres, 5
Je t'ai quitté à-bas de ton cheval, le coude abîmé. Tu es évacué vers un hôpital... Je sais l'avoir dit bien des fois, je n'ai pas connu le jeune homme que tu étais, mais il y a des passages, dans ce qui suit, où je te retrouve pleinement. Mes aînés, qui liront, comprendront ces "retrouvailles" ils éprouveront la même chose.
Il y a là, dans ce qui suit, deux choses que l'homme vieilli (toujours aussi beau ! ) n'avait en rien perdu : la finesse du regard, l'analyse distanciée, et la sensibilité. Extrême.
10 novembre 39
On me récupère et m’évacue sur l’hôpital de Guise où je m’empoisonne sévèrement dans une longue salle dallée à côté de copains qui râlent.
En face de moi, un motard qui s’est retourné dans la nuit, s’est cassé une jambe et a abîmé l’autre, collectionnant par ailleurs divers autres cuisantes contusions et écorchures.
Plus loin un piéton bousculé par un cycliste. Un crâne fêlé.
A côté de moi un collègue de la 46 cantonné à Le Hérie-Laviéville, qui s’est habilement coupé trois doigts en même temps qu’une branche. Le Hérie-Laviéville, c’est le port d’attache de mon ami Rousselard qui de là exerce à plusieurs lieues à la ronde et jusque à Guise ses ravages casanovesques.
Huit jours après mon entrée mon voisin de droite meurt d’un abcès à la gorge. Il râlait en respirant. Un jour que nous lisions en silence, un silence plus pesant encore a relevé nos têtes penchées sur d’antiques actualités d’illustrations désuètes : il ne râlait plus... Atmosphère réconfortante…
Mon bras, que le Major m’avait remis en place en me faisant faire un beau rêve, a l’aspect d’une baudruche gonflée. Il s’orne de marbrures violacées- désespérant ! j’ai horreur du violet – et aussi de taches vertes – un vert livide- mais j’aime le vert.
Mes mains et mes doigts ont un volume inusité. Je supporte le tout dans une serviette blanche en sautoir…
Journées interminables. Nuits encore plus longues. Mais le forain mon voisin est un type admirable. Il émet de savoureuses réflexions qui vont crever à la surface de cet ennui stagnant, comme de joyeuses bulles. Il s’enveloppe le chef et le col dans trois mètres de bande Velpeau avec un soin méticuleux et un frisson rétrospectif en pensant à l’abcès à la gorge qui étouffa notre voisin et l’épargna, lui. Puis il conclut en se mirant dans la glace qu’il a « les mirettes en couilles d’hirondelles ».
Mais un jour, nous recevons l’ordre de nous préparer pour évacuer l’hôpital.
Seul restera le motard, intransportable...
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Saint Quay Portrieux, rue de la fontaine.
J'appartiens à un pays qui restera toujours dans mes veines, mes artères, mes muscles et mes os.
Un endroit où la mer, comme toutes les mers du monde, ne se ressemble jamais.
Où les saisons se donnent rendez-vous en une heure.
J'appartiens à l'odeur si précise de la chaleur, sur la plage du port. La douceur du sable y est singulière, Je me souviens du contraste étonnant, quand la plage de la Comtesse devenait trop fraîche et qu'arrivée sur le port, une chape de tiédeur enveloppait de bien-être mes épaules d'enfant ; cette sensation sous la plante des pieds, d'un satin blond et fin, quand les cailloux de la Comtesse, plus rugueux, ravinaient un peu, mais pas tant.
J'appartiens à la petite cabine blanche du CRS, incongrue et désormais vide, sur le rocher, cet abri rond et quasi maternel où mes écorchures au genou trouvaient toujours à qui parler.
J'appartiens au chemin de ronde, si résonnant de cris le jour, la vie si près, en contrebas, si mystérieux et propice aux baisers, la nuit où ses bordures se piquaient de lucioles.
J'appartiens à une mer sauvage les jours de tempête, où l'on venait jusqu'à la Brèche pour voir les vagues voraces happant la jetée, en ne faisant, parfois, qu'une seule et magnifique bouchée du vieux phare.
J'appartiens à ce cri des mâts sous le vent, une note aiguë tremblée sur les bateaux dansant vaguement sous la houle, à marée haute.
J'appartiens à toutes les plages de la ville, où mes enfants ont laissé leurs empreintes minuscules, après la mienne.
Rue de la Fontaine existait un empire : le mien. Le jardin de ma grand-mère surplombait la rue où je n'avais pas le droit d'aller. Je regardais les enfants jouer, les maisons basses en face, cette rue devenue si attirante car nimbée d'interdit. Un jour peut-être, je serais assez grande pour y aller ? Mais rien n'était moins sûr.
Une autre maison chargée de souvenirs a pris le relais. Elle est là, encore, et celle qui en est l'âme y est aussi.
Quand je reviens chez moi, mes pas me portent vers le 30, rue de la Fontaine.
Ce n'est plus ma maison depuis longtemps, mais vue de la rue l'enfance est là, solide dans ses murs, accrochée. Même si les rosiers ont disparu...
J'appartiens aux escaliers de la plage de la Comtesse, pris des milliers de fois avec l'ami qui est resté le mien depuis tout ce temps. Et lorsqu'on pélerine, tous les deux, deux mômes pêchus inséparables nous précèdent, qui les dévalaient d'un trait, en courant, sans se poser la moindre question.
Ensuite, on regarde notre plage, notre île. On évite soigneusement, face à la mer, de trop regarder à droite. La Criée n'est pas ce qu'il y a eu de mieux...
J'appartiens à un pays où dorment désormais beaucoup des miens.
Mais pour les réveiller je pars de ma maison de la rue Louais, je traverse la nationale, finis le chemin par le Tertre Breton (plutôt ce qu'il en reste), voici les trente dernier mètres...et de plain pied, de plein gré, je suis au 30, rue de la Fontaine.
Je dois vous laisser, j'ai huit ans, et mes grands-parents m'attendent.
Les jours différents des autres, 4
Je t'ai laissé couché dans la paille, après un tour à l'estaminet. Suite, donc, de ton quotidien de soldat, en 1939, dans une campagne morne. Tu ne sais pas encore que les barbelés t'encercleront, peu de temps après, pour te voler l'enfance de tes deux premiers gamins.
Evénements de la saison : le champs de pommiers se désagrège, au sommet par la disparition des pommes, à la base par l'apparition des tranchées faites par nous et de fondrières faites par les chevaux.
Ma jument Houri IV (que Deplaix, dit Mickey, mon co-cavalier de la traversée de Paris appelle Henri IV) est indisponible des postérieurs.
Une alerte d'une demi-heure -un avion fantôme- précipite les officiers dans les caves et nous dans les tranchées. Le masque en position de combat on se mitraille à coup de pommes.
Le M.D.L(1) du ravitaillement se fait désarçonner et son cheval se rabote le chanfrein sur un barbelé. Gueulante du patron, douce rigolade des subalternes.
Le chef comptable se noie dans l'hypocondrie parce qu'il a trompé sa femme avec la (ou les ) couturières. Y fallait pas qu'y aille.
Moi, je fais une touche involontaire avec la voisine des ci-dessus couturières. Elle me lave mon linge à l’œil, Mais je n'abuse pas de mon physique agréable avec la pauvre fille. La Cie 9 déménage peu après.
2 Octobre 39
Nous avons changé de paysage. Le champs de pommiers est remplacé par une usine qui nous sert de caserne. Marle-sur-Serre est devenu Saint Richaumond. J'ai fait le trajet de l'une à l'autre en car, Houri IV étant toujours indisponible des postérieurs.
Pays plat, moche, boueux, triste et sentant la betterave. Une seule distraction: le cheval. Je monte Avricourt III quand son maître n'est pas dessus.
A part ça je monte sur les planches du foyer le dimanche soir, et à la tribune de l'église le dimanche matin.
Je deviens entre temps spécialiste en peinture sur véhicules divers, (...) J'ai fabriqué avec une patience de Chinois et du carton paraffiné un double pochoir qui me permet de reproduire sur les voitures en question l'insigne précipité : un tank bleu dans un étrier blanc, idée du capitaine, réalisation de moi. Ça plaît beaucoup... Sans doute à cause de ma bonne volonté et de mes qualités de garde-mites je suis proposé pour le grade de Maréchal des Logis;
1er novembre 39 (...)
Ce changement de paille me procure l'agréable agrément de contempler sur les murs les stars chères à cet aimable distributeur de bafouilles qu'est Granger, alias régisseur de scène de Tabarin et du Paramount.
Au mess on mange un peu mieux qu'à l'ordinaire. Et puis je ne suis plus chef de table. Ces repas sont bruyants. Granger engueule Lhoste-Clos (l'Adjudant Clo-Clo), qui engueule Rollet, qui évoque les souvenirs de bouillon Kub, tandis que le Brigadier Chef André nous confie ses aventures amoureuses avec ses voisines. Cependant, mon ami le Pédagogue essaie d'entendre une symphonie de Beethoven avec un émouvant entêtement. Tout se termine par une vaste bagarre au verre d 'eau.
Rien de particulièrement saisissant pendant cet automne, sauf que neuf jours après ma nomination, mon cheval s'emballant ex-abrupto et sans avertissement préalable, je perds mon assiette et me ramasse adroitement en terrain cabourré avec le coude gauche luxé (2)
(1) Je ne sais pas à quoi correspond ce sigle. Si quelqu'un peut m'aider...
(2) Pour l'anecdote : au moment de la reconstitution de carrière de l'intéressé en vue de la retraite (pas une mince affaire compte tenu de ses multiples activités ) cette chute de cheval lui a valu une bonification au titre de...blessure de guerre. Il en a ri pendant un bon moment.