Petite chronique des grandes hontes, 8. La chair de ma chair, oups !
Il était une fois dans une vie très ancienne, parce que mon unique fille, désormais femme radieuse, était alors une frimousse de treize mois et quelques...
Après une journée de travail bien remplie, et sans doute préoccupée par un dossier importantissime tombé depuis dans un océan d'oubli (le boulot de l'époque me passionnant hautement, j'allais au bureau avec un poids de vingt cinq kilos par lacet de chaussure) je regagnai mon chez moi.
Je me dois de préciser que le chez moi en question se trouvait dans l'enceinte de l'établissement hospitalier où je sévissais.
Pour bien faire comprendre le reste, il me faut donner des détails topographiques de premier ordre.
Je devais d'abord traverser une partie de l'hôpital, immense : plus grand centre gérontologique d'Europe, se gargarisaient les médecins locaux d'alors; à noter, certains avaient la fraîcheur de leurs patients -on les surnommait les narco-gériatres, terme trouvé par l'esprit affûté d'un psychologue ami- mais c'est une autre histoire.
Bon, dix-sept hectares de parc, quand même.
Je traversais la surface susdite pour une raison de moins d'un mètre, blonde et souriante, dont le babil délicieux et la bouille charmante augmentaient d'autant mon impatience:
Cette petite adorable était ma prolongation. En clair, ma joie de quitter un bocal où je m'ennuyais à périr se doublait de celle d'aller chercher ma fille à la crèche.
Tout s'est déroulé ce jour là suivant les phases usuelles :
- Entrée dans le mini-monde, papotage avec les puéricultrices, rhabillage, trajet à pied dans l'autre sens pour retrouver mon nid, où deux garçons, aînés de la blondinette, l'attendaient avec un enthousiasme plus modéré que le mien, eu égard à sa tendance à jouer de manière quelque peu pataude avec des robots/ lego/playmobil pirates, qu'elle pulvérisait avec un sourire désarmant. Les frangins appréciaient moyen, mais enfin, je l'avais mise au monde, je devais donc la garder et la nourrir ne leur en déplaise; c'était bien le moins.
- Trajet dans l'autre sens, donc, toujours dans l'euphorie, chansons pour la petite qui parle yaourt dans sa poussette parapluie. Youpie, journée finie.
- Arrivée devant mon immeuble. Petit, quatre étage, deux apparts par étages, dont tous les habitants m'étaient connus, et deux particulièrement chères. Des amies, quoi, partageant le sort de "personnel logé" qui était le mien.
- Rituel vespéral : entrée dans la cour de l'immeuble sur laquelle, détail crucial, donnaient les fenêtres des salons, puis virage à gauche toute vers un petit local à vélo perpendiculaire à l'immeuble, rangement de la poussette, fermeture à clé du local, montée vers l'entrée, retrait du courrier dans le petit hall.
Rituel observé comme ils le sont tous: à la lettre.
Sauf qu'en rangeant la poussette dans le local, j'avais laissé ma petite dedans.
En fermant à clé tout bien comme il faut.
Jamais, je dis bien jamais, et ce n'est pas une clause de style, jamais je n'ai fait un demi-tour aussi rapide. Précipitation, ré-ouverture de porte, retrait de la môme, tout n'a pas du prendre plus d'une demi-seconde, y inclus ma prière pour qu'aucune voisine mettant le nez à la fenêtre à ce moment précis, (ce à quoi en rangeant ma fille dans le local je n'avais évidemment pas pris garde) ne m'ait vue faire.
J'ai ouvert la petite ceinture (oui, elle était toujours attachée dans sa poussette), récupéré mon enfant avec une fébrilité au bord du sanglot j'ai refermé le local d'une clé tremblotante remonté vers l'entrée le cœur dans la gorge en serrant très fort ma blondinette hilare.
Depuis, elle va bien, merci.
Même pas eu besoin d'un psy. Que-dalle.
L'équilibre, l'énergie incarnée.
Elle est forte, ma fille.
Petite chronique des grandes hontes ,7. J'enlève le bas.
Il y a peu, j’ai appelé l’Amie, celle des années anciennes comme actuelles, celles dont j’ai déjà évoqué la présence à Venise, par exemple. Mais nous vécûmes elle et moi de nombreuses virées en filles et lors de ce coup de fil très bref –deux heures et quinze minutes à peine - nous voici parties à remonter les siècles jusqu’à se retrouver… aux Antilles. En Guadeloupe, exactement, où un ami nous accueillait il y a vingt-quatre petites années.
Précisons que l’évocation susdite se fait entre deux hoquets mais pas d’émotion. L’Amie en question a tendance à décoller le papier peint quand elle rigole et ça me sied : je suis pareille.
C’est qu’ayant mis plusieurs jours à s’appeler (1er coup de fil, elle est occupée, 2ème c’est moi qui le suis, 3ème y a une impossibilité) celui dont je vous parle séant est celui de la Victoire : 4 ème tentative, elle est libre, et moi aussi. Ça nous enchante, d’où une forte envie de nous poiler. Nous nous poilons donc.
Et remontons à l’envers le Fleuve du Temps, ploum, ploum.
La première nuit antillaise dans un studio où nous frisons l’étouffement, tout en rassemblant nos maigres forces pour cause de décalage horaire et de suées à niaquer d’une claque molle les moustiques qui se régalent. Allongées sur la plage, quelques petites heures plus tard, on verra quasi le soleil se lever. Lui est frais, nous pas.
L’ami bienveillant passe un peu plus tard dans la matinée et nous trouve bavotantes devant notre thé. Il identifie à nos gueules le mauvais sommeil et nous en demande la cause. On lui dit chaleur-décalage-chaleur… Il s’approche d’un pas dansant d’outremérien, cette gracieuse élégance qui est la leur et tend la main vers un machin qu’on n’avait pas vu, qui fait « clic » sous son doigt.
Vingt secondes plus tard, il règne dans le studio un petit air frisquet et l’ami, bienveillant toujours, prononcera un « c’est la clim » empreint d’un sourire dans le ton, mais léger léger, à peine audible.
Il ne s’est même pas moqué. La classe.
Antilles/ Guadeloupe/ Clap, 2ème.
Nous sommes deux sur la plage, et c’est tout. Une petite crique charmante. Mon amie, excellente photographe, me demande de me déshabiller, ce qui revient à un effort minimal, je n’ai qu’un bas de maillot. Cette époque bénie me permettait de balancer le haut, les seins gardant le même niveau. Maintenant, non, mais tout le monde s’en fout, vite, reprenons le fil du récit.
Ne sachant rien lui refuser, j’ôte donc.
Elle prend des photos.
Mais ça dure, et j’entends au loin sur la mer un bruit de moteur. Je me tourne et vois un point à l’horizon, qui se rapproche et pas doucement, avec ce bruit si caractéristique de diésel marin poupoupoupout.
Me souviens plus de tout, mais je sais que j’ai dû lui crier « magne-toi » ou un truc dans le genre, à l’Amie qui toute à son art prenait le temps qu’il fallait pour l’éclairage, le contrejour, la vitesse, le diaphragme, la profondeur de champ et bliblibli.
Je me souviens juste que le moteur, à un moment, s’est à la fois rapproché et a ralenti.
Pou…pou…pou…pout.
J’ai remis mon bas de maillot vite fait, et on s’est caltées.
Jamais osé regarder derrière.