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La nuit en couleurs

Les cieux à mer

Joëlle Pétillot #poésimages

Petite chronique des grandes hontes, 2. Un inconnu nommé Nénesse...

Joëlle Pétillot #Petite chronique des grandes hontes

Il arrive souvent qu'un rien pousse l'imagination : d'un détail incongru, fil infime abandonné sur un revers,  feuille qui passe,  on tire parfois la plus folle substance. D'aucun poussent le jeu jusqu'à devenir des écrivains majeurs à partir d'un gâteau basique trempé dans un thé qui ne l'était pas moins. Sept tomes. Quand même...

 

Pour peu que ce détail vous choppe à un moment on ne peut plus trivial, on peut légitimement penser qu'il se survivra à peine, dans un souvenir aussi bref que l'image elle-même.

 

Et pourtant.

 

Cette histoire débute de façon si banale qu'on en sangloterait presque : trajet de plusieurs centaines de kilomètres, votre servante côté passager, mollement bercée par le ronron du moteur, installée dans l'euphorie du départ avec son Paul Newman personnel, (les yeux, vous savez, ce bleu...) une douce tiédeur passant malgré l'hiver à travers la vitre, Patti Smith à fond les manettes et mes vingt-cinq ans au compteur mordant l'espace à plein sourire, "because the naïght...la la la la la, because the night belongs to eûsse...."

 

Deux cent kilomètres de nationale plus tard, Patti Smith s'était tue, j'avais faim, ce qui me rendait (et me rend toujours) légèrement agressive. Désireux de préserver l'ambiance pour les heures à venir, diurnes comme nocturnes, mon conducteur se gara nonchalamment  près d'un obligeant café-restaurant aux aimables effluves. Je m'y engouffrai avec une volupté totale, déposai mon manteau sur la chaise, sans m'asseoir, demandai à mon vis à vis de passer ma commande et descendis dans le sous-sol signalé par un charmant petit panneau, parce qu'il y avait cette urgence là aussi. L'évocation du thé proustien ne relève pas du seul hasard:  il se trouve qu'à l'époque, abusant de cette boisson (la ressemblance avec Marcel s'arrête là, hélas) les conséquences ne se faisaient guère attendre.

 

Je descendis les marches avec une dignité compassée, au cas où je croiserais quelqu'un. Mais le lieu, désert, me permit d'accélerer le pas avec une fébrilité sous-tendue (c'est le mot) par l'impression désagréable qu'au premier geste un peu brutal j'allais littéralement exploser.

 

J'entrai enfin dans le saint des saints, fermai le verrou, me livrai à l'effeuillage minimal nécessaire en pareil cas, et entamai la procédure.

 

Tout en oeuvrant avec béatitude, mes yeux se portaient machinalement sur les écrits inévitables apposés au dos de ce genre de porte, en ce genre d'endroit.

La ligue catho peut dormir tranquille, je n'en citerai aucun. Disons juste pour synthétiser violemment que la majeure partie portait sur certains talents, aimablement proposés à telle adresse, ou tel numéro : citons tout de même, pour la gloire, un certain Nénesse se vantant avec forces détails (dessinés) de sa capacité à distraire les messieurs âgés.

 

Soudain, au milieu de ce fourmillement de propositions - au passage, à côté de ce que je voyais, la salle de garde des internes de l'hôpital où je sévissais, passablement gratinée au plan déco, ressemblait à une cellule de trappiste- oui, soudain, une petite phrase pusillanime, proprette, quasi calligraphiée et rangée dans un coin de la porte à peu près intact, attira mon attention, laquelle grandissait à mesure que les idées se faisaient ...plus nettes, voyez.

 

Une toute petite phrase appliquée, décalée, pas à sa place. Elle me fit l'effet d'un choriste en frac au milieu d'une fête syndicaliste.

 

Une pauvre âme, dans cet unique et minuscule espace intouché, avait écrit :

 

Je déteste le gigot.

 

Au milieu de cette fange, ces mots.

 

J'ai vu, alors, oui, vu.

 

Il devait ne pas être bien grand, gaulé comme D2R2, un peu triste, manger le gigot du dimanche, tous les dimanche, forcément, depuis trois décennies, chez sa belle-mère. Il devait être chauve, ne pas avoir d'enfants, en clair une larve introvertie au point de ne pas oser vivre un moment de révolte intégrale en refusant haut et fort l'abomination flageolesque et dominicale...

 

Chaque fois que j'y repense, c'est cet infortuné dont les traits ne doivent rien à personne d'autre qu'à mon imaginaire malade, oui, c'est quand même vers ce malheureux que va toute ma compassion. Un tel degré de frustration... ça fait de la peine.

 

Et chaque fois, je me dis que je m'emballe.

 

Si ça se trouve, c'était Nénesse.

 

Il avait juste changé d'écriture...

 

 

Petite chronique des grandes hontes, 2. Un inconnu nommé Nénesse...

De l'extensibilité problématique du rapport à la réalité, chez les distraits.

Joëlle Pétillot #Petite chronique des grandes hontes
De l'extensibilité problématique du rapport à la réalité, chez les distraits.

Le propre des distraits est l'extensibilité problématique du rapport à la réalité.

En clair, -je l'ai écrit ailleurs, mais persiste et signe-le distrait n'est pas là.
Enfin pas toujours.
Les actes les plus banals sont souvent accomplis à une distance cosmique du concret, surtout après une très dense journée.

En cette fin d'après-midi, je remontais d'un pas mou l'avenue dans laquelle se situait mon lieu de travail ; fort longue puisque la susdite commençait à Ivry-sur-seine, pour finir à Vitry.

Je l'avoue le rouge au front, je pétunais à l'époque, et n'ayant pas ma dose de nicotine du fait d'un usage immodéré en cours d'exercice professionnel, j'allais donc quérir chez l'aimable buraliste sis dans un troquet appelé "le Parmentier", le paquet cartonné dont la seule perspective me faisait onduler des narines.

Pour dire les choses crûment, je mourais d'envie, mon labeur fini, de m'en griller une avec volupté.

Tout en arpentant l'avenue sue par coeur et en dépit du besoin de fumette qui me tailladait les entrailles, je trouvais, en distraite diplômée, le moyen de penser à tout autre chose, mais ce sujet de diversion présentait un degré d'urgence sensiblement identique au précédent :
Il n'y avait plus de pain chez moi.

Or, l'homme de ma vie d'alors, pétri de qualités diverses et ô combien d'humour, n'en avait plus aucun dès l'instant que le brignolet faisait défaut à la Sainte Table. Un repas sans pain dans ma petite famille relevait donc, pour cause de risque d'irritation patriarcale, de l'Impensable.
Ravie de m'être souvenue de ce manque, et des ennuis évités en le comblant, j'avais atteint la première étape de ma marche citadine, à savoir le bar-tabac.

J'entrai ragaillardie dans l'antre du Parmentier, franchis la distance qui me séparait des paquets multicolores sagement alignés, et demandais d'une voix que la joie d'avoir anticipé les emmerdes faisait claironner à loisir :
- Une baguette.

J'entends encore les ricanements. Deux décennies plus tard, ils me reviennent avec une limpidité assassine.
La dame du tabac, blonde accorte dont les rondeurs accentuaient le côté dominant (son mari était du contretype maigre et dominé) me regarda avec un calme terrifiant et répondit en articulant un peu plus que nécessaire :
- On ne fait pas ça, ici.

Je ne me souviens plus comment je suis sortie de ce foutu tabac. J'ai sûrement tenté, avec un héroïsme louable, de le faire droite dans mon abence de bottes (nous étions en été), avec un souverain détachement. Ah, ah.

A la boulangerie, par contre, je tiens à souligner expressément que tout s'est bien passé.

Le propre des distraits ? L'extensibilité problématique du rapport à la réalité.

Puisqu'on vous le dit.


Elles rugissent, et nous tremblons

Joëlle Pétillot #poésimages
Elles rugissent, et nous tremblons

Le vent en nous, le vent dehors.

Il y a une fausse paix entre deux vagues, un faux silence dans le vacarme.

Le tourbillon bat les cordages, le bateau plein d’âmes terrées...

Il y a des choses qui tombent, les machines cognent, battent les tempes, et l’eau claque sur les mémoires.

Le vent en nous, le vent dehors. La mort qu’on fuit est aussi là, dans ce sifflement rauque éclatant les tympans.

De plus en plus près vient la vague, et siffle le danger. Tout se bat. C’est bien de guerre qu’on parle ici.

La note discordante porteuse de ravages, s’élève dans nos têtes et retombe comme un corps qui chute.

La vague grosse de toutes les peurs joue avec le bateau comme un chat d’eau salée.

La bateau vole, puis retombe, sans jamais que les machines se taisent.

La mort qu’on fuit est là, dans chaque battement. Des fauves grondent dans l’écume, leur gueule ouverte nous attend.

Cette montagne liquide porte tous les cris de toutes les terreurs.

Et les machines ne se taisent pas.

Jamais.

Elles rugissent, et nous tremblons.

Malice au pays des...

Joëlle Pétillot #Réflexions-fêtes

Les pies phénomènes

Joëlle Pétillot #poésimages

Elles traversent le jardin d'un vol sautillant et pressé, branche bien horizontale en bec, solidement tenue. On s'affaire, et ce n'en n'est pas une mince que de se construire le studio qui va bien, confort maxi et remplissage à l'avenant, pour la petite famille. Ces coquettes en habit du dimanche toute la semaine travaillent d'arrache-pattes sans jamais froisser leur guipure.

J'admire.

Mais le printemps est si peu regardant qu'il importe dans mon jardin un nombre conséquent de volants entoilettés joyeux d'humeur et de fort appétit. Le lierre dessinant au cou du lilas encore nu une étole assassine en sait quelque chose, lui dont les baies noires attirent les goulus : cette branche sert à tout, stratégique qu'elle est, juste au dessus des feuilles.

Multifonction, messieurs-dames : porte-mésange, soutient-rouge-gorge, séchoir à merles.

Du coup, le jardin chante, toutes grives dehors.

Oui, on sent que ça bouge sous la terre, dessus, les fleurs font leurs timides, l'ellébore se déploie et verdit, -celle-là, comme faux derche, en passant... Faire des fleurs vertes, c'est perturbant. Sont elles fanées, se demande le profane, ou à venir ?

Elle se contente d'être belle, et penche vers l'oiseau qui picore dieu sait quoi juste devant elle. Il semble presque lui murmurer des choses. L'indifférence, ça paye: toutes les séductrices vous le diront.

Au milieu des notes joyeuses file celle plus rauque de ces dames en noir et blanc. Élégantes, certes, efficaces, ces pies, nul ne peut dire contre. Mais quant à être mélodieuse... Plutôt angineux, ce chant. Pas à dire, ça gâche un brin. Bouffez du miel, les filles...

Elles s'en foutent ? Oui.

C'est pour ça qu'elles ont table ouverte chez moi.

Vivent les imparfaits qui s'en tamponnent, les mal finis qui assument, les pas conformes qui rigolent.

La pie en éternel smoking a un cri de poivrot qui meugle.

Moi, ça me va.

 

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