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La nuit en couleurs

Dégage

Joëlle Pétillot #poésimages
Dégage

Il m'a dit : "barre-toi". J'ai tracé, obéissante, avec un fin pinceau de soie, une ligne diagonale à l'encre de chine, depuis la racine des cheveux jusqu'au dessus du pied. Ainsi rayée des choses, j'ai marché. Plus personne ne me voyait,

même pas moi. Il m'a dit :

"casse-toi". Je suis tombée au sol, tous mes éclats tintant en fines brisures répandues jusque sous les meubles, loin dans la poussière et l'obscurité.

Il n'a rien fait pour me balayer, mais en foulant les morceaux ses pieds se sont couverts d'entailles fines, très profondes.

Vous qui blessez sans états d'âme, méfiez vous des bords coupants aux plaies que vous infligez. Un jour ou l'autre, ils passeront à votre propre peau, et c'est vous qui saignerez. Il m'a dit : "tire-toi". J'ai allongé mes bras, mes jambes, à l'infini. Je suis devenue poulpe. J'ai tentaculé sa tête, son corps, j'ai serré pour qu'il comprenne

C'était bon, son souffle ralenti, sa peur. Je l'ai aimé, ce goût râpeux, amer, cette ombre sans cri ventousée vers le néant, dans un bruit atroce. C'est goûtu, la cruauté. Il m'a dit : "dégage". J'ai fait le vide en jetant tous les souvenirs l'un après l'autre, avec méthode, dans le vide-ordures. J'ai agi de même avec ses meubles, ses livres, ses fringues, son chien. Il ne restait plus de chez lui que d'étranges murs avec des marques, et un sol de neige fraîche que pas une trace ne souillait. Le vide.

"Dégage".

D'accord.

L'enfant-lumière

Joëlle Pétillot #poésimages

Tu es un enfant-regard

…à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût.

Et pour la remercier, là où d'autres seraient amers ou butés, tu souris.

En toi je devine des moments difficiles : tes mots ne t'obéissent pas.  Ils piétinent comme de sales gamins devant une porte en ton dedans qui s'ouvre quand ça lui chante. Lorsqu'ils sortent, ils portent de drôles d'habits.  L'effort à faire n'est pas bien grand pour les reconnaître, mais ce monde est celui de tous les dangers, et la bêtise est le premier d'entre eux.  Elle ricane parfois, lâchée comme un chien couchant par de supposés humains qui ne seront  jamais aussi finis, peaufinés, affutés et sensibles que toi, tu l'es. 

Le mot "enfant" n'est plus de mise: dix-sept années que tu donnes aux autres ce sourire-fenêtre ouverte malgré la porte fermée. Tu m'arrives à l'épaule. Quand on se balade, je sens ton bras autour du mien, solidement ancré, et on marche du même pas. On se parle, on se raconte, on rit comme des baleines à se dire des idioties, et j'aime ces instants là parce qu'en dépit des autres (tes parents ne sont jamais loin) on est tout seuls. Toi et moi contre la terre entière.  Entre nous, un contrat, un vrai, un papier signé... mais aussi un autre, écrit là au plus profond de l'amour que j'ai pour toi : je dois te protéger autant que possible contre... quoi ? 

 

La terre entière, justement. 

Une broutille. Même pas peur.

Parfois, tu t'agites, rafiot de toutes les tempêtes.

Je vois ton œil tourné vers un nulle part en toi, cette île dont tu es roi où personne ne peut te suivre. La violence s'en mêle, bien sûr, elle se mêle de tout chez tout le monde.

La tienne est celle de quelqu'un qui souffre, parce qu'il y a bien pire que l'insulte ou les coups pour un être de ton essence: le rejet. 

J'aimerais bien faire comprendre à ceux qui ne te comprennent pas que dans ces instants là c'est ton chagrin qui est violent, pas toi. 
Des pages par milliers suffiraient à peine pour dire ce que tu apportes, dans tes gestes maladroits d'adolescent-brindille, (c'est que tu n'es pas bien gros, mon ablette) et cette lumière vive qui est la tienne et celle de personne d'autre. Certains êtres sont ainsi, ils remplissent l'espace y compris dans leur silence.  Ta différence est là, et nulle-part ailleurs. Le reste pèse lourd, sans doute, mais ce n'est pas cela qui fait de toi un "autre" par rapport aux jeunes gens censés mériter l'AOC "normaux"...

Ceux-là apportent au monde ce qu'ils veulent bien donner, choisissent, et comptent. Toi dont la croissance légèrement feignante fait un petit gabarit, tu te payes le luxe de faire grandir les autres. 
Je trouve que tu élèves bien tes parents. 
Normal, tu élèves, au sens propre, tous ceux qui t'approchent. 
Entre nous ce fil tendu qui nous va bien je pense: toi alourdi de mots rétifs, moi veinarde qui peux jouer avec et te faire rire, donc.

Ta main frêle souvent froide que je réchauffe dans ma poche, mon prénom que tu prononces avec cette banane en travers du visage, parce que tu es couché et que je suis montée te dire bonsoir.

 

Et ce regard à fleur d'âme qui me traverse,

qui me dit dans ce que nous taisons : "je sais". 

Tu es un enfant-regard à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût. Et pour la remercier, là où d'autres seraient amers ou butés... 

Tu souris.

 




L'enfant-lumière

Variations et petites cassures

Joëlle Pétillot #Réflexions-fêtes

Les draps froissés sont susceptibles. 

Ils s'effacent en mille plis qui soulignent les ruptures. 
Mais pourquoi dit-on "rompre avec..." quand on rompt toujours 
contre, ou loin de ?

Quoique. 

Privez le de "avec", et le "rompre" devient martial,  sonne du clairon, marche au pas. 
Rompez les rangs !
Les rangs de quoi ? Vous en connaissez beaucoup, vous, des oignons à qui l'agronome dit "rompez !" avant de les sortir de terre ? 
Non. Mais les oignons font pleurer. Comme les ruptures. 

Et d'ailleurs, comment fait-on pour en finir avec la rupture ? 

"Les gens" sont une entité vague, dont vous noterez que ceux qui les évoquent ne font jamais partie: 
"Les gens sont cons, ils ne comprennent rien, bêlent, sont fous...".

Moi, ça va, merci. Je me sens intelligent(e), pige tout au quart de tour, j'existe à mort, bordel, et suis plus sensé(e) que la moyenne... 
 

Alors qu'est-ce que je fous ici, à chialer parce que l'autre m'a dit que Machin(e) était mieux, et qu'aucun de mes rêves n'a vu le jour ? 

Est-ce qu'un "je te quitte" prononcé assis nous met en rupture de banc ? 
Si oui, dans quel square ? 

Rompre à deux, est-ce co-rompre ? Quittons nous, je vous le dirai. 

Encore que je n'en sache trop rien, je ne suis guère rompue à l'exercice. 

Quand tout va bien, on ne le sait jamais. Qu'un obstacle arrive, et on s'alourdit de regret sur une vie dont on n'avait pas mesuré le prix. 

L'oiseau de bonheur, qui le connaît ? 

Entendu il y a peu : "moi, j'ai vite fait de repérer les faux amis". 
T'as du bol, mec. Si tu savais le temps que ça m'a pris de reconnaître les vrais... Plus difficile qu'en grammaire anglaise. 
Si tu as une paire de manche rangée quelque part, dis toi que c'en est une autre. 
Change de tiroir.

La personne avec qui j'aime le plus à rompre, c'est moi. Des années de pratique, et toujours pas repérée comme amie, ni fausse, ni vraie. 

Vais aller me coucher, tiens. Rejoindre mes draps lisses, bien repassés,  mes draps jamais vexés m'accueillant sans faux-plis. Même pas des faux-plis urgents.

Demain sera le même jour. 

Rompez.

Variations et petites cassures

Sacré job

Joëlle Pétillot #Réflexions-fêtes
Sacré job

Cher non-journal

Ce noir m'ennuie. Il est profond, sans âme, rongeant dans son infinitude. L'obsédant silence du rien, l'abyssal vertige du non-être, et moi au milieu comme un con.

Trop longtemps que cela dure. J'aimerais œuvrer, mais cet abîme en moi se prolonge dans une totale absence de concept. Je flotte ; je me voudrais dérive.

J'ignore; je me rêve agissant.

Je me vautre dans mon nulle part quand mon plus cher désir serait la fatigue, les yeux cernés, l'essoufflement.

Ma seule certitude est que je bats dans les ténèbres, ce qui entre nous m'aide modérément, et surtout pas à cesser de m'emmerder.

Quelque chose, pourtant... Une brise, un souffle, un effleurement. Une fêlure dans ce vide où viennent sombrer tous les vertiges, auquel j'appartiens que je le veuille ou non.

Mais, ai-je jamais voulu quelque chose ?

Le Vouloir. La clé serait là ? Comment le savoir si je n'essaye pas un minimum... Gros effort, j'en conviens, après de nombreuses éternités de paresse. Bon, je me connais : si je commence, ma première pensée sera pour le bien-non-être que j'ai quitté, et je ne serai plus qu'un vaste remord impuissant.

Certes, mais j'en aurai fini avec la vacuité. Cette salope de vacuité. L'épanouissement doit naître d'une foule de choses possibles, mais en aucun cas de la vacuité. Bon, je me lance. Ténèbres, préparez-vous à mourir.

Et d'abord, je veux du bleu sur ce noir ; "bleu" me paraît un joli mot, qui caresse l'espace et le rend moins amer. Vouloir, oui, c'est ça ; je sens que le changement s'amorce, me voilà presque fébrile, pour un peu. Un "autre chose" frémit dans le silence, glisse sur l'obscurité, en fait une vague qui se rétracte, s'étend, zèbre le vide comme une couture.

Si je voulais donner un nom à cela aussi... "sourire" ? Oui, je prends.

Pas mal, "sourire".

Donc, j'ai pulvérisé les ténèbres avec un sourire bleu.

Qu’est-ce que je m’amuse. J’aurais du commencer plus tôt.

Plus de limites : je veux du ciel sur le sourire, une vie que je puisse regarder. Des créatures de toutes sortes, ailées, ou pas, finaudes, végétales, instinctives ou abruties. Tout pour la distraction.

Enfin, surtout la Mienne.

Et là, je tiens l’idée : la plus importante de toutes, je vais la faire à mon image : lambine, velléitaire, immature et prompte à l’ennui.

Le sourire bleu se nommera Terre. La Créature, Homme.

A partir de maintenant, tout convergera vers un beau et terrible ravage.

Dieu : sacré job, au final.

La bête en moi

Joëlle Pétillot #poésimages
La bête en moi

Ce n'est pas moi, c'est la bête en moi qui pleure. Celle que je n'aime pas, cette inconnue qui fait tout à l'envers, farouche petite ennemie qui ricane dans un miroir perpétuel. Poubelle de l'âme, vide-poches de l'âme, rempli de pensées noircies comme des mégots, de clés rouillés qui n'ouvrent rien, ou si peu de choses.

Bureau Intérieur des Objets Trouvés, mais les objets trouvés commencent toujours par être perdus.

Où sont les rues qui me portaient aux heures fauves ? Les lustres des bals chargés d'étoles vénitiennes, et les femmes dont la robe nocturne soulevée par la brise ressemble à un vol ?

Assise, bien droite sous l'abri-bus, je regarde la pluie en attendant que l'enfance passe.

Ce n'est pas moi, c'est la bête en moi qui pleure.

Petites misères violettes

Joëlle Pétillot #Réflexions-fêtes

Si une femme maigre avec sourire surdoté, mais peu de lèvres, vous dit au détour d'une conversation : je m'inscris en faux, en secouant son drôle de voile noir...

 

Barrez-vous !

 

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Parlons, parlons beaucoup, à débit frénétique. Remplir les blancs,

vite, vite...

Les grands bavards sont attendrissants, leurs mots serrés sont autant d'alibis pour ne pas se colleter avec tous ceux, bien plus nombreux,

qui gisent dans le silence.

 

Plus dur sera le chut.

 

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Le monde est loin, si loin, nos souffrances parfois nous en éloignent encore, et la vie en devient plus regardée que vécue. Ce trop-plein de regard fait qu'on ne peut plus se voir. 
Il faudrait que la vitre-obstacle, cette vitre-barrière, au moins parfois, se fendille un peu. 
Mais ça fait  peur. 

 

Vitre fêlée, tiens-toi à carreaux.

 

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Tailler les arbres en hauteur, gauler les noix, choper les cerises... C'est épuisant. 
 

 

Notre journal ne saurait trop conseiller à ses nombreux lecteurs horticoles l'adoption d'une licorne potagère. 

Gracieuse, elle va vous chercher tout ça sans effort grâce à sa corne frontale, tout en faisant onduler au vent sa crinière immaculée. 
 

Beaucoup plus classe que le nain de jardin, lequel est de notoriété publique esthétiquement râpé et pauvre en vocabulaire.

 

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Grippe. Ces jours gris où on a l'énergie d'une limace tuberculeuse. Et demain sera à peine mieux. Tout au plus la capacité de passer du lit au fauteuil. Frémissement : ce sera ma vie, un jour ? Tout le temps ? 

Oui.

Bon, c'est pas le tout, mais j'ai des tas de trucs à faire. 

D'un coup, ça va mieux.

Petites misères violettes

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