Les corbeaux
L’azur caisse de résonnance
pare au rebond des noirs oiseaux.
La chanson rauque
grignote la colline
coupe le silence de soie
en déchirures sonores.
Un crépuscule horticole
plante les étoiles pâles
sans alignement
l'aléatoire sourit de ces semis rebelles
pas encore brillants
juste taillés aux corbeaux.
Le bonheur enroué
c'est le bonheur quand même
dira plus tard l’aurore
soignez-moi vite
ce mal de gorge du monde
mais il n’est pas de miel
assez puissant
pour guérir les corbeaux.
L'oiseleuse
La lune blanche parle à la nuit
une nuit belle comme le jour
l’oiseleur a mis l’ange en cage
alourdi d’inutile envol
Le porteur d’ailes mâche et remâche
la valeur déceptive
d'une langue pétrifiée.
En bas la pluie vernit les toits
avec une douceur d’avril.
La musique fredonne
dans le têtu des éclats.
Grêle d’eau, comptine grelot
ça sonne tendre, la douleur
qui pourtant dépose
sur les choses
son froid de couteau
et l’eau du ciel
sur la brûlure.
Peut-être est-ce une oiseleuse
suivant son chemin de proie
la cage au milieu de l'espace
pour qu’on le voie d’où qu’on regarde.
La nuit blanche parle à la lune
la lune belle comme la nuit
plurielle de ses secrets
enfouie sous les nuages peintres.
Tant de mots pour montrer qu’on se tait.
La touche étoile
Avec quelle aiguille écrit-on un livre d'heures ? La petite ou la grande ? Prendre le temps de bien y réfléchir.
Faire le tri dans mes contacts, mais ne pas rayer le baiser : celui là, je l'aime vraiment.
Pour cela, appuyer sur la touche "deux".
S'offrir un désincarnet: petit cahier précieux sur lequel ne figureraient que les non-dits.
Cesser d'être accroc. Me réparer, vite fait.
Ne pas tricher, être soi-même, oui, oui, et ainsi ne plus t'échapper, ne plus avoir un atome, un cil, une miette de ce corps, de cette âme, qui ne t'appartienne. Je veux en rêver, mais en rêver seulement. La transparence, rien n'est plus trouble.
Penser à recoudre les trous du ciel. Ces nuages dépenaillés que chatouillent les antennes, ça fait désordre. Est-ce qu'on les traverse, ces trous, quand on meurt ? L'immortalité à ceux qui savent faire un ourlet ? Pas juste.
Bon, bon, d'accord. Apprendre à coudre, on ne sait jamais.
Sinon, presser la touche "bis" ?
Cruauté. Quand on met des fleurs coupées - donc arrachées à leur famille - dans un vase, on les recueille. Vertige de fleur. Peut-être veulent-elles donner des nouvelles ? "Prête moi une feuille, c'est pour écrire..."
Tu pars, ton absence est plus lourde que toi.
Mets-la au régime : reviens.
Et puis, quand tu me manques trop, j'appuie sur la touche "entrée".
Défaire l'amour prend un temps fou, le faire, par contre... surtout l'année du Lapin.
Changer le nom des couleurs: bleu véronèse, vert azur, jaune majorelle, gris vermillon.
Je rêve d'une nuit qui ne serait que lumière, qu'on ne pourrait pas appeler jour. Un demain suspendu, un sourire immense dans le noir éblouissant.
J'y suis.
J'ai appuyé sur la touche "étoile".
Au moins essayer
Tes mots dans mes paroles
ton bleu dans mon azur
tes lignes dans ma main
ton air dans mes poumons
ton rêve dans ma nuit
ton sommeil sur ma veille
tes pas dans mes chaussures
tes ongles que je ronge
ta peau qui me démange
mon estomac rempli
lorsque tu manges
mes yeux noirs de tes cernes
tes dents dans mon sourire
tes ailes sur mon dos
mon âme dans ton corps
Convoquer l’amour dingue
sans mot d’excuse
Hermaphrodite
nos vies contre le temps
qui ne rend pas son sablier
Au moins,
essayer.
Je perds tout
Je perds tout en ce moment.
L’inachèvement
bonde de l’intérieur
là dans ma main
Oh la rongeante aridité
la vie cascade
à partir des paumes trouées
stigmates d’où coulent les pierres unes à unes, qui ne serviront jamais.
l’envol douloureux de corbeaux, à la moindre photo trouvée.
les filets des pêcheurs d'Afrique, lancés à la lumière avec des grâces de danseur
légers de poissons endiamantés qui sautillent leur mort brève,
comme si sous la vague un jongleur s’amusait.
A peine quelques lignes à contre ciel, tête, épaule, pieds.
Toujours les marcheurs de sable avancent
couronnés d’aube
prêts à tout recommencer.
Je perds tout en ce moment
Clés portable gants bonnet sourire.
Les mots SDF passent à travers le filet
stériles
inhabités
sournois.
Pourtant
il faut les user pour écrire qu’on n’écrit pas.
c'est bien du plus profond que sourd cette coulure
tout ce qui est perdu ne se contente pas d’oubli.
Mais tout ce que je suis en train de perdre
me ressemble.