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Le chant des multitudes
Le chant des multitudes
l’autre rive, brume
un jour terrible on crèvera le brouillard
tout peut attendre
le pire de l’obscur
la clarté folle
le doux ronron
petit chaos sur du vivant
depuis la face cachée
du vent
le vaste rot des profondeurs
tout remonte
ce qu’on a jeté dans le puits
les clés du monde
les failles de roches inconnues
l’ennui des premiers jours
l’aube froissée tuée de sommeil
la peau
les jambes entremêlées
faut-il rêver en exorcisme
ou tendre vers
il y a comme un faire semblant
qui rend l’âme coupante
et la cisèle
le soi-même, pâle statue
la beauté des scories
petites chutes fondatrices
où allez-vous après le saut ?
S’il faut rêver, rêvons.
Je me souviens d’un corps, d’une voix
quand tout le reste a passé
il faisait beau
sur nos baisers
un pont, un fleuve
jamais les deux ensemble
le regard ne porte pas assez loin
porte cochère, pluie
regard jeté sur un jardin clos en plein paris
Alors fleurit le brin de cour
tags, visages empierrés
ombres décalées
madones de trottoir
ponctuation des rues
clouées sur les portails
il y a une étrangeté dans le bruit d’un percolateur
on l’entend dans le mot même
percuté calculateur
dont le café brûle un peu
vivre c’est voir ça aussi
respirer la ville
la baiser sur les lèvres
en attendant un bus
l’amour viendra après, plus tard, toujours
c’est la nuit qu’on l’entend le plus
le chant pluriel
polyphonie bavarde
silences d’antiphonaires
veillent les chats et les lumières
plantés au milieu du sommeil
on joue au mort
les étoiles et nous tous pareils
le soleil dort.
Beauté du Diable (La chute)
L’idée de cette lumière tenue de Toi m’était insupportable. Ces dix mille étoiles à mon front par ton seul vouloir m’écorchaient comme une brûlure. Je suis un ange qui sait la douleur.
Je tomberai avec un sifflement de serpent, avalé par la nuit qui est aussi ton œuvre. Ainsi entrerons-nous, ma rage et moi, dans les ténèbres.
À ton troupeau d’ailés louangeurs, il fallait quelqu’un qui s’oppose. J’ai dit « Me voici ». Ce n’est pas Ta volonté qui conduit ma révolte, c’est la mienne. Il y aura l’éternité de ma colère sur le monde, et les hommes auront peur.
En tombant, je deviens ton égal. Je deviens autre, l’Autre, l’Adversaire. Ma délivrance de Toi ancrée dans l’amour des humains je descends. Vois, je tombe déjà si profond que je leur deviens accessible ; ils m’aimeront plus que Toi.
À ta paix béate je préfère le gouffre, riche de possibles, dense à traverser. Tête en bas, voici la joie à perdre l’étoile, les ailes, la beauté. Plus rien que ma nudité d’ange, l’air froid, la paix réelle à être plus loin de Toi chaque seconde, et, à chacune d’elle, la joie.
Dépoussiéré, enfin. Plus que le cœur du cœur de ce que je suis, plus de marque aux épaules, le front lisse de toute pierre. Plus rien de Toi, et autant de pouvoir.
À toi jamais rassasié de soumission, j’apporte enfin la rupture dans le fleuve Éternité. Je deviens Ton évènement. Ton cas. Au moins, j’aurai choisi. Celui qui viendra un jour ne choisira rien et mourra sur une croix juste parce que Tu le veux. Quel père demanderait cela ? Et pourquoi ? Après son supplice, toi et moi savons que rien ne changera.
Les humains sont fragiles, irritants, prévisibles, geignards, mais ce sont de merveilleux vivants. Je serai une silhouette, je le suis déjà, l’ange que je demeure ne fera que respirer, mais ils se réchaufferont à ce souffle-là. J’incarnerai Ton abandon, comme le noir n’est pas la couleur mais son absence.
Je serai là, comme je l’ai toujours été, d’une façon ou d ‘une autre, ce qui fait de moi Ton pareil.
Et tu te tairas. Tu ne sais rien faire d’autre.
Sans boussole
Quelqu’un fait de constance et de respiration a passé
dont les veines coulent comme des fleuves.
Lui survit un battement d’étoiles
ou peut-être rien.
Possession, lente et malade signature.
Rester, juste rester
au milieu de soi
le plus nu possible.
Le temps tressaute
sous les doigts pliés,
l’enfermement
ne sera jamais la réponse.
Défaites vous
La maison porte son cœur d’automne, alenti sous une pluie fine poudrant les fenêtres sans un bruit. Dehors un gris têtu arase le jardin de son absence de roux, de lumière, de nuance. Ne brillent plus qu’un reste de vert mouillé, un arbre malheureux, les fleurs orphelines.
À l’étirement des heures on mesure combien la lenteur s’invite , jusque dans les odeurs. La saison se veut longue de parfums qui s’attardent : flambée difficile à prendre, gelée de coings, gouttes note à note avant la cuisson finale, patates d’entre chien et loup dont la robe épluchée forme un tas terreux. Ce long déshabillage laisse à la peau une senteur de jardin, un relent de rivière, d’humus, d’herbe tombée. Bientôt la soupe gagnera les narines.
Entrez, défaites vous.
Comme elle semble désuète, cette invite. Qui dit encore cela ? Pourtant, quelle justesse.
Entrez, posez le lourd, larguez les failles, les regrets, le pesant ou la honte, et prenez, prenez tout, la flamme, les senteurs, les pluches, le luxe du temps qui passe en conscience. Défaites-vous de la vie qui presse, du pas de l’hiver juste au milieu de la lumière, colmatez les morsures, posez-vous dans le calme des choses. La cheminée raconte, les murs boivent, le thé a rejoint la lenteur du reste, infuse joliment.
Défaites vous.
La fenêtre voilée, miroir, accueille la lampe ronde en écho et fait du tas de bois un porte-fruit étrange. Schubert s’est invité. Ses notes disent, la réponse fredonne. On s’entend bien tous les deux. L’automne au piano sonne comme un avril. Les souvenirs peuvent se pointer, la mélancolie se faire les griffes. Rien ne prendra que la vie du moment, le vague sourire du gris qui ne pense pas à mal en s’attardant dehors. Posez vos gris à vous sur celui-ci, laissez-vous voler par sa bienveillance. Il suffit de regarder dehors depuis ce dedans qui balance et suspend par la bouche, les oreilles, le nez, l’être qui regarde, écoute, déguste ces silences dans une journée d’automne indéfinie, où il ne se passe pas grand chose.
Mais voici : ce pays-là est tout le contraire de rien.