poesimages
Desidero
Certaines souffrances sont telles qu'on a l'impression de les vivre depuis un ailleurs qui existe à peine. En différé. Drôle de blessure.
Lésion étrangère, en somme.
Certaines colères nous emportent si loin qu'on ne se ressemble plus. L'océan qui submerge alors fait pire que noyer : il efface. Il n'y a plus personne au bout de cette ligne là, sinon une ombre au trop plein dégueulé et qui se retourne comme un gant à force de cracher le mal, tout le mal : celui qu'on éprouve et celui qu'on fait.
Certaines obscurités sont plus amicales que d'autres. Qu'une étoile ou deux tremblotent sur la nuit, et le sourire qu'elles envoient depuis une mort ancienne suffit à nous faire oublier un instant la nôtre.
Desidero : en latin : désirer. Sidus, sideris: l'étoile.
Désirer, au sens étymologique: regretter les étoiles.
Oui, voilà bien ce qu'est le désir : la nostalgie de l'étoile.
Il y a de l'étoile en nous.
Alors, pourquoi cette laideur soudaine, dans le corps, le visage, la voix, pourquoi la brisure, oui, au nom de quelle folie ces tremblements et la brisure, la brisure de n'importe quoi, d'un vase, d'un verre, d'un être ?
Certains moments nous font passer de l'autre côté de nous-même, dans cet inconnu pourtant connu de notre finitude où viennent ricaner nos imperfections; celles-là même qui nous rotent à la gueule en se marrant un grand coup.
Pourtant, on repart. En boitant, en grattant l'écorchure, en chialant comme les perdus éperdus que nous sommes, faute de mieux.
Mais mieux, c'est où ?
Certaines solitudes sont écrites au rasoir. On cicatrise quand même, y compris et surtout quand on ne le voudrait pas. L'oubli de la blessure un jour... Peut-être pire que la plaie elle-même.
Le 22 septembre, Brassens. "Et c'est triste de n'être plus triste sans vous..."
Mais c'est bien aussi, de se trouver à nouveau heureux avec quelqu'un d'autre. Vivent tous les 23 septembre.
Car il en vient toujours un, non ?
Certaines tristesses ventousent l'âme y compris dans des fêtes où tout le monde sacrifie à l'obligation de se taper sur le bide. Ce sont des tristesses lâches, veules, non disposées à se nommer. Des tristesses anonymes. Les convives prennent alors des allures de patates trop cuites, ils se ressemblent tous, leurs traits sont brouillés et ne provoquent qu'une seule interrogation : "qu'est-ce que je fous là ? "
Une seule réponse s'impose trop souvent :
"Je ne sais pas ".
On aimerait être ailleurs, c'est tout.
Ailleurs ... près des étoiles ?
Désir. Desidero. Etoiles qui êtes en nous, parlez plus fort.
Votre silence, parfois, manque à nos cris.
Inventaire
Ici les barques, là les bouées.
Ici les gilets, là les rames.
Ici ce qui va nous sauver, à moins qu’au cœur de nous se trame l’idée de tout abandonner…
Ici les bouées, là les barques, les rames pour nous emporter,
Mais où ? Vers quel drame ? Vers quelle île d’éternité ?
Quand la solitude ricane, envers et contre la marée
malgré cette vie qui s’entête,
cette survie
du naufragé.
Ici les bouées, là les rames,
et ces paroles étouffées,
ces gilets posés sur l’épaule, qui font la peur plus accrochée,
et même si ce froid renonce,
si la vague porteuse de mort soulevait des ressuscités
Ici la barque,
Là les rames
Moi je t’appellerais encore
Vivant malgré moi, malgré elle,
Je crierais sur le vent ton nom
Vivant sauvé
Par les bateaux,
Par les rames,
Par les barques
Par les gilets
Je crierai sur le vent ton nom
La solitude en bandoulière
Sorti du gouffre sans mes ailes
Ici les barques
Là les rames
Perdant sans fin ma vie sauvée
Et la perdant à te chercher.
Les cailloux des rivages
Les cailloux des rivages dessinent une ombre dans l'eau.
Un palais de mosaïque, poème en prose minérale, et la musique de la terre
crie tout autour ; celle-là même qu'on ignore, la musique des berceaux.
Les arbres meurent à peine, ils y mettent le temps.
Et la forêt s'essouffle, debout quand même.
Pendant ce temps les hommes peinent, et haïssent. Leur obstination vaine est celle des fous qui savent la mort et la refusent.
Alors, l'immortalité inutile éclate en scintillants ricanements.
Dérisoires nous, qui rions malgré ou sous la grêle, tremblotants de tout notre pâle statut de fourmi.
On boîte. Tous ces mondes sur nos épaules...
Exsangues, et pour cause. Sans substances, reflets de miroirs coupés des sources, on regarde sans y croire notre sang couler partout ailleurs.
Un jour, peut-être, un chant déchiré changera les choses.
Peut-être.