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La nuit en couleurs

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Les pies phénomènes

Joëlle Pétillot #poésimages

Elles traversent le jardin d'un vol sautillant et pressé, branche bien horizontale en bec, solidement tenue. On s'affaire, et ce n'en n'est pas une mince que de se construire le studio qui va bien, confort maxi et remplissage à l'avenant, pour la petite famille. Ces coquettes en habit du dimanche toute la semaine travaillent d'arrache-pattes sans jamais froisser leur guipure.

J'admire.

Mais le printemps est si peu regardant qu'il importe dans mon jardin un nombre conséquent de volants entoilettés joyeux d'humeur et de fort appétit. Le lierre dessinant au cou du lilas encore nu une étole assassine en sait quelque chose, lui dont les baies noires attirent les goulus : cette branche sert à tout, stratégique qu'elle est, juste au dessus des feuilles.

Multifonction, messieurs-dames : porte-mésange, soutient-rouge-gorge, séchoir à merles.

Du coup, le jardin chante, toutes grives dehors.

Oui, on sent que ça bouge sous la terre, dessus, les fleurs font leurs timides, l'ellébore se déploie et verdit, -celle-là, comme faux derche, en passant... Faire des fleurs vertes, c'est perturbant. Sont elles fanées, se demande le profane, ou à venir ?

Elle se contente d'être belle, et penche vers l'oiseau qui picore dieu sait quoi juste devant elle. Il semble presque lui murmurer des choses. L'indifférence, ça paye: toutes les séductrices vous le diront.

Au milieu des notes joyeuses file celle plus rauque de ces dames en noir et blanc. Élégantes, certes, efficaces, ces pies, nul ne peut dire contre. Mais quant à être mélodieuse... Plutôt angineux, ce chant. Pas à dire, ça gâche un brin. Bouffez du miel, les filles...

Elles s'en foutent ? Oui.

C'est pour ça qu'elles ont table ouverte chez moi.

Vivent les imparfaits qui s'en tamponnent, les mal finis qui assument, les pas conformes qui rigolent.

La pie en éternel smoking a un cri de poivrot qui meugle.

Moi, ça me va.

 

Dégage

Joëlle Pétillot #poésimages
Dégage

Il m'a dit : "barre-toi". J'ai tracé, obéissante, avec un fin pinceau de soie, une ligne diagonale à l'encre de chine, depuis la racine des cheveux jusqu'au dessus du pied. Ainsi rayée des choses, j'ai marché. Plus personne ne me voyait,

même pas moi. Il m'a dit :

"casse-toi". Je suis tombée au sol, tous mes éclats tintant en fines brisures répandues jusque sous les meubles, loin dans la poussière et l'obscurité.

Il n'a rien fait pour me balayer, mais en foulant les morceaux ses pieds se sont couverts d'entailles fines, très profondes.

Vous qui blessez sans états d'âme, méfiez vous des bords coupants aux plaies que vous infligez. Un jour ou l'autre, ils passeront à votre propre peau, et c'est vous qui saignerez. Il m'a dit : "tire-toi". J'ai allongé mes bras, mes jambes, à l'infini. Je suis devenue poulpe. J'ai tentaculé sa tête, son corps, j'ai serré pour qu'il comprenne

C'était bon, son souffle ralenti, sa peur. Je l'ai aimé, ce goût râpeux, amer, cette ombre sans cri ventousée vers le néant, dans un bruit atroce. C'est goûtu, la cruauté. Il m'a dit : "dégage". J'ai fait le vide en jetant tous les souvenirs l'un après l'autre, avec méthode, dans le vide-ordures. J'ai agi de même avec ses meubles, ses livres, ses fringues, son chien. Il ne restait plus de chez lui que d'étranges murs avec des marques, et un sol de neige fraîche que pas une trace ne souillait. Le vide.

"Dégage".

D'accord.

L'enfant-lumière

Joëlle Pétillot #poésimages

Tu es un enfant-regard

…à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût.

Et pour la remercier, là où d'autres seraient amers ou butés, tu souris.

En toi je devine des moments difficiles : tes mots ne t'obéissent pas.  Ils piétinent comme de sales gamins devant une porte en ton dedans qui s'ouvre quand ça lui chante. Lorsqu'ils sortent, ils portent de drôles d'habits.  L'effort à faire n'est pas bien grand pour les reconnaître, mais ce monde est celui de tous les dangers, et la bêtise est le premier d'entre eux.  Elle ricane parfois, lâchée comme un chien couchant par de supposés humains qui ne seront  jamais aussi finis, peaufinés, affutés et sensibles que toi, tu l'es. 

Le mot "enfant" n'est plus de mise: dix-sept années que tu donnes aux autres ce sourire-fenêtre ouverte malgré la porte fermée. Tu m'arrives à l'épaule. Quand on se balade, je sens ton bras autour du mien, solidement ancré, et on marche du même pas. On se parle, on se raconte, on rit comme des baleines à se dire des idioties, et j'aime ces instants là parce qu'en dépit des autres (tes parents ne sont jamais loin) on est tout seuls. Toi et moi contre la terre entière.  Entre nous, un contrat, un vrai, un papier signé... mais aussi un autre, écrit là au plus profond de l'amour que j'ai pour toi : je dois te protéger autant que possible contre... quoi ? 

 

La terre entière, justement. 

Une broutille. Même pas peur.

Parfois, tu t'agites, rafiot de toutes les tempêtes.

Je vois ton œil tourné vers un nulle part en toi, cette île dont tu es roi où personne ne peut te suivre. La violence s'en mêle, bien sûr, elle se mêle de tout chez tout le monde.

La tienne est celle de quelqu'un qui souffre, parce qu'il y a bien pire que l'insulte ou les coups pour un être de ton essence: le rejet. 

J'aimerais bien faire comprendre à ceux qui ne te comprennent pas que dans ces instants là c'est ton chagrin qui est violent, pas toi. 
Des pages par milliers suffiraient à peine pour dire ce que tu apportes, dans tes gestes maladroits d'adolescent-brindille, (c'est que tu n'es pas bien gros, mon ablette) et cette lumière vive qui est la tienne et celle de personne d'autre. Certains êtres sont ainsi, ils remplissent l'espace y compris dans leur silence.  Ta différence est là, et nulle-part ailleurs. Le reste pèse lourd, sans doute, mais ce n'est pas cela qui fait de toi un "autre" par rapport aux jeunes gens censés mériter l'AOC "normaux"...

Ceux-là apportent au monde ce qu'ils veulent bien donner, choisissent, et comptent. Toi dont la croissance légèrement feignante fait un petit gabarit, tu te payes le luxe de faire grandir les autres. 
Je trouve que tu élèves bien tes parents. 
Normal, tu élèves, au sens propre, tous ceux qui t'approchent. 
Entre nous ce fil tendu qui nous va bien je pense: toi alourdi de mots rétifs, moi veinarde qui peux jouer avec et te faire rire, donc.

Ta main frêle souvent froide que je réchauffe dans ma poche, mon prénom que tu prononces avec cette banane en travers du visage, parce que tu es couché et que je suis montée te dire bonsoir.

 

Et ce regard à fleur d'âme qui me traverse,

qui me dit dans ce que nous taisons : "je sais". 

Tu es un enfant-regard à qui la vie a joué un tour, pas de bon goût. Et pour la remercier, là où d'autres seraient amers ou butés... 

Tu souris.

 




L'enfant-lumière

La bête en moi

Joëlle Pétillot #poésimages
La bête en moi

Ce n'est pas moi, c'est la bête en moi qui pleure. Celle que je n'aime pas, cette inconnue qui fait tout à l'envers, farouche petite ennemie qui ricane dans un miroir perpétuel. Poubelle de l'âme, vide-poches de l'âme, rempli de pensées noircies comme des mégots, de clés rouillés qui n'ouvrent rien, ou si peu de choses.

Bureau Intérieur des Objets Trouvés, mais les objets trouvés commencent toujours par être perdus.

Où sont les rues qui me portaient aux heures fauves ? Les lustres des bals chargés d'étoles vénitiennes, et les femmes dont la robe nocturne soulevée par la brise ressemble à un vol ?

Assise, bien droite sous l'abri-bus, je regarde la pluie en attendant que l'enfance passe.

Ce n'est pas moi, c'est la bête en moi qui pleure.

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