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Les jours différents des autres -17-

Les jours différents des autres -17-

8 juin : Deux heures. Un bruit de moteur derrière nous. Un camion l’arrête dans le chemin qui conduit à notre champ. Un moment après, mon nom traversant l’ombre vient me secouer au pied d’un pommier. C’est un brigadier de la 410 qui l’a lancé après moi, pour m’avertir que la Cie déménage et que le lieutenant nous donne l’ordre de partir.

Parfait, mais je dépends maintenant d’un autre lieutenant qui ne l’entend certes pas ainsi, et je décide auparavant de l’avertir. Question de politesse. Son M.D.L. me conduit auprès de lui. Il dort sous la tente, gardé par un molosse qui me dévorerait tout cru si mon guide ne l’apaisait de la voix.

Le lieutenant a l’air plutôt mécontent, et, vaguement soupçonneux, fait comparaître par devant lui mon Brigadier pour contrôler le fait, puis décide d’envoyer auprès de son capitaine une estafette motorisée… qui part à pieds vue la noirceur de la nuit.

Longue attente. L’estafette revient enfin et nous essuyons, mon second et moi, un sévère savon. Cet ordre de départ est faux, paraît-il. Nous voilà, hélas, sous le coup d’une déshonorante suspicion. Paniquards et déserteurs, voilà ce que nous sommes. Il faut reprendre notre poste, et plus vite que ça !

L’ordre à peu près rétabli dans ma troupe, qui sentait déjà l’écurie et se prépaprait à sauter en camion d’un pied agile, nous reprenons notre garde. La nuit s’étire jusqu’au matin.

A huit heures, cet ordre de départ, faux cette nuit, est devenu vrai. Le lieutenant me laisse ma liberté ; il doit lui-même appareiller un peu plus tard, non sans amertume. Je le comprends, et éprouve une fois de plus cet oppressant sentiment de parfaite inutilité qui me poursuit depuis Aout 39.

Si jamais ordre fut exécuté promptement, c’est bien celui que je donne cette fois d’embarquer.

Et de s’empiler dans le bull-dog et de déraper en quatrième, direction Lyons la forêt.

Place des halles. La Cie a déjà déménagé, comme de juste. Un planton de la R.R. nous envoie sur les Andelys. Va pour les Andelys !

Et recommence la grande pagaille, la grande fuite, la grande course-handicap, le grand match piéton-vélo-cheval-moto-voiture-camion, le grand exode vers le sud-ouest.

Nous progressons par bonds, nous frayant un passage dans la colonne. Au Petit-Andelys, les piétons, le nez en l’air s’éparpillent en tous sens, s’affalent dans les fossés, le nez dans l’herbe.

Les chevaux se plantent sur place la bouche tirée en arrière, les yeux fous.

Le camion stoppe raide devant un tas de cailloux, éjectant son contenu au ras de la haie. On se tapit sous les feuilles comme un gosse sous les draps. Cauchemar rapide, un chapelet de torpilles hurlantes nous prend par le travers. L’air se déchire, la terre tremble, nous tordant les tripes. Un souffle chaud sur la nuque. Un éclat qui rebondit sur une tôle. .. La haut, le ronron d’un triangle de mort qui s’éloigne…

C’est fini.

Des femmes crient, des enfants pleurent. Deux de mes hommes reviennent du camion, soutenant un troisième. Il a un éclat dans la cuisse, sous la fesse. Des civils nous aident à le panser.

Pendant ce temps je cours à la ville voir si on peut l’hospitaliser.

La chaussée grouille de gens, hagards courant et s’appelant. Une fillette pleure devant une voiture retournée dont le cheval a été tué. Devant le passage à niveau, un chariot barre la route à moitié ; des quatre chevaux qui le tiraient un seul est debout, les jambes gainées de sang, la tête basse semble rêver à côté de ses compagnons écroulés dans leurs tripes. La maison du garde-barrière a craché toutes ses fenêtres. Sur le pas de la porte une vieille tremble, les yeux exorbités. Au coin d’un carrefour, un planton de la R.R. veille une moto transformée en papillote. Je trouve l’hôpital où arrive en même temps que moi un homme portant un garçonnet botté de sang. On ne veut pas de moi ni de mon blessé. On nous envoie sur Gaillon.

Pour comble de chance mon chauffeur est à moitié fou et prend son moteur pour une escadre de bombardiers. Il s’arrête n’importe où, cale au milieu de la route ou escalade un tas de cailloux. Le pauvre type avec un éclat dans la gambette doit bien jouir sur son lit de paquetages. J’engueule ce bougre d’âne de chauffeur, qui, ironie du sort, s’appelle Mignon (je le vois malgré moi avec un bilboquet Henri III) et continue le voyage sur le marchepied, un bras passé dans la portière, d’un oeil surveillant les avions de l’autre les piétons. Car le bombardement a dispersé mes gars dont il ne me reste plus que quinze sur trente et j’espère les récupérer en route. J’en retrouve deux de cette manière.

A Gaillon le service médical panse notre copain de façon sérieuse et me renvoie à Evreux où on nous le prendra, paraît-il.

Auparavant nous passons à Champenard où le Bureau de la Place ignore totalement la 410 ème Cie Hippo et nous dirige sur Autheuil d’où on nous renvoie à Champenard qui nous conseille d’aller nous renseigner à Evreux...

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