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La nuit en couleurs

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Petit Atlas

Joëlle Pétillot #poésimages

Regarder la ville

Joëlle Pétillot #poésimages

 

Regardez la ville : il y a foule, et personne. Les marcheurs cadencent leur présence lacunaire, il semble que le trottoir roule sous leurs pieds. La houle de chaussures avance, vers quelle dévoration ?  Le ciel témoin saisit l’errance ; il relève du couvercle plus que de l’altitude. Un soleil flou pâlit sa couleur safran, les nuages glissent comme le fait le ruban des passeurs, en bas.

Aucun partage dans cette mouvance, juste la reptation pressée, l’infinité des buts, le poids des divergences. Seul bien commun : l’indifférence. La vie est là, ni simple ni tranquille… Cette foison d’humains qui ne regarde pas, mais toise, il m’arrive de l’habiter. Je suis moi aussi de ceux du serpent, ceux de la vague. Sans nom qui vont plus ou moins droit avec une étoile au cœur, un port, un rocher, un paysage, une maison, une enfance. Une vie ignorée des autres transparences.

Que disent ces rues avides, ces bouches de métro goinfrées dont l’appétit ne faiblit pas à avaler la mouvance humaine jusque tard dans la nuit ? Ils racontent quoi, les phares, les klaxons, les pétarades, les cris, le grand murmure qui hurle sur les façades, résonne aux portes cochères, gardiennes dérisoires aux digicodes portés comme des bijoux pas chers ?

Pour peu que la pluie s’invite, le reflet part des pieds et le serpent navigue à l’envers, sans même qu’il le sache vraiment. Que faire de ces antipodes aux semelles, si ce n’est marcher comme des danseurs, pour un pas de deux, de dix, de mille, avec l’eau redoutée dont on craint le sourire au bas des pantalons ?

Vague et ondule, ruban d’enfer.

Le ciel est là, pourtant, même pointillé de cheminées, brodé de toitures, affadi d’enseignes. Le ciel est là, éparpillé. Comme une nuit cachée git un bout de lui dans chaque poche.

L'ombre-aile

Joëlle Pétillot #Poésimages
L'ombre-aile

Aimer le monde au bouclé du bruit des fontaines, lever des cercles d'or qui dévorent l'espace jusqu'au bord. Tu le fais avec la lumière qui géométrise ta paume ; cette main de délicatesse où les tirets s'impriment, intrigants dans leur fixité. Le silence léger qui danse dans ta voix inonde le regard, cherche quelle langue parle ce reflet là : tu la comprendras d'où qu'elle vienne. 

Un pan de jour haché te couronne à ton insu. La vérité, ce sont tes doigts, abris fragiles pour ces bijoux étranges. Tu les cloues du regard. Ta sagesse d'enfant sait qu'ils ne dureront pas. 

Plus tard, toi partie pour trop longtemps, la lumière reviendra mais, sans sa compagne de jeu, prendra d'autres reliefs. L'ange à fossette s'est envolé.

Ne reste plus que moi, dans son ombre-aile.

Traquer l'aurore

Joëlle Pétillot #poésimages
Traquer l'aurore

Dans les nuits près de toi je veux traquer l'aurore
Nous deux les yeux ouverts au nord de son plain-chant
Le sommeil est trop loin pour écraser le corps
Les ruisseaux sont la plaie le gouffre et l’océan
Je te retrouverai où que soit ton empreinte
Je ne te perdrai pas même si tu le veux
Tu seras là au plus près de ma douceur lente
L’un sans l’autre jamais sauf si le fil se brise
Nous deux ce poing ferré formé de nos deux mains
Toi mon eau-forte, mon portrait à la sanguine
Sorti tout droit de mes artères, ma fleur de peau
Toi mon chemin de courbe au plus près de la mer
Mon appel au grand vent, mon rêve, mon appeau
Je te retrouverai au plus loin qu’on se perde
Regarde sur mon corps les marques, c’est ta main
Qui a gravé le sillon dur, nos noms mêlés
L’être que tu as fait de moi scintille ici
Ce sable sous tes pas c’est moi en mille grains
Que tu répandras sous les eaux de ton visage
Je t’aimerai comme on aime à mort, et sans partage
Jusqu’à l’écorce, jusqu’à l’arbre, jusqu’au sel
Jusqu’au vent éperdu jusqu’à la joie immense
Jusqu’à ton rire feu, jusqu’à ton regard ciel.

 

 

Danseuse rouge

Joëlle Pétillot #poésimages

 

Ses bras contiennent l’espace et ses possibles. La danse est un envol, et porte valeur d’oubli.

Je me souviens de l’odeur de bois du parquet tremblant comme une eau, assourdi de coups lorsqu’après le travail nos pieds chaussaient les pointes et souriaient au martyr des orteils écrasés. Le corps avait déjà payé son obole aux courbures, plié, demi-plié, première, seconde, ces mots signant des poses qui se devaient de grâce ou ne pas être. Après la barre, les guêtres laineuses pour ne pas refroidir le muscle. Et les enchainements, saut de biche, jeté, révérence, pas de bourrée.

Comme il méritait mal son nom, ce dernier-là. Si les bras ne se dépliaient pas à la mesure des pieds, bien courbes, paume vers le ciel, délié de la taille, l’ombrageuse professeure, - amie et coturne de Janine Charrat, danseuse classique dont la gloire outre talent venait de ce qu’elle avait autrefois pris feu dans son tutu et dansait envers et contre une condamnation de la faculté – la professeure, disais-je, dont l’œil se fronçait à la moindre lourdeur, se manifestait d’un claquement de langue qui valait une immense honte aux humbles apprenties dont le justaucorps masquait soit la maigreur, soit dans mon cas et à mon immense honte, des seins naissant beaucoup trop tôt que j’eusse voulu effacer d’un trait de gomme.  

Je revois la barre, aussi rigide que notre maîtresse à danser, brillant d’un feu hostile tant que la tête ne touchait pas le genou sur la jambe tendue. « Forcez, mesdemoiselles, forcez ! ». Je forçai dents serrées, jusqu’au bout du bout. La première fois que mes cheveux tirés en chignon effleurèrent une rotule triomphante, il me revient encore la légèreté avec laquelle le reste suivit. De retour à la maison, La danseuse étoile de l’époque (Claude Bessy, je crois) ne me paraissait pas digne d’effleurer mon gros orteil douloureux.

Quelque chose d’autre me rendait fière : mon statut.

Non pas que je fus jamais privilégiée. La danse classique est une école quasi militaire, faire obéir un corps en l’étirant, le tordant, le sollicitant plusieurs heures, bref, le ployer en outil docile  relève d’une forme d’abnégation excluant le chouchoutisme. 

Pas de ça. Mesdemoiselles, c’est du travail, et beaucoup, point.

Simplement, me tournant le dos, mais royale, la dame au piano qui se détendait en jouant la musique en support de ce fameux travail de tous les instants, c’était ma mère.

Sa présence me faisait du bien, et du mal quand « Mademoiselle » m’assénait un : « Mademoiselle Pétillot, veuillez refaire le mouvement, vous êtes un balai », ou autre amabilité d’exigence, sans que le dos de ma mère ne bougeât d’un millimètre.

Sur le moment, j’en voulais à ce dos, et puis, quand après plusieurs tentatives, un semblant de caution illuminait mes efforts (Mmoui, c’est un peu mieux… ) je me remettais à l’aimer.

Jamais il n’y eut le moindre compromis entre Mademoiselle et le dos de ma mère.

J’ai peint la dame en rouge avec cela en tête : l’odeur du parquet, le réel qui s’éloigne quand le corps parle bien, l’envol sur une musique… La valse numéro un de Chopin, dont je me demande toujours, quand quelqu’un d’autre que toi la joues, « Comment ose-t-il ? ».

La voix de Mademoiselle, dont je n’ai jamais su le nom.

Nous avions un gala en fin d’année, bien sûr. À Pleyel, excusez du peu. Janine Charrat clôturait avec « La mort du Cygne ». Je croisais la Grande Dame, j’étais jeune et timide, jamais je n’ai osé lui dire bonjour autrement qu’en regardant mes pieds.

Je cherchais ma mère dans le trou noir du public. La musique, sur scène, ce n’était pas elle, mais un disque.

La danse est un envol, et porte valeur d’oubli. Danser est n’être plus qu’un corps.

Oui. Mais pas sur cette valse-là.

Pas pour moi.

 

Mots de chien

Joëlle Pétillot #poésimages
Mots de chien

Survivre de boue n’est pas le fait de tous. Il y a à prendre, et beaucoup, dans l’encre et les paroles, l’obstination à soigner la béquille orgueil pour ne pas claudiquer.

Panser, boucher, replâtrer, recoudre, les jours où la ballerine en soi danse trop loin.

La laide affaire.

Le prix du vertical, quand la moindre banalité relève d’un combat ? Comment chanter si rien ne se presse contre la bouche, rien d’autre que des mots de chien ?

Cette force ignorée fût-ce au cœur de la nausée, comment la boire ?

Piétiner les ronces ?  Accepter ?  La magie tient aussi à l’absence de réponse.

Barrer l’insignifiance.

Ne reste plus qu’à porter haut ses dévastations.

 

 

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